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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Brexit: BoJo n’entame pas le front uni des Vingt-sept

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Si les palinodies du gouvernement britannique sur le Brexit rythment depuis 2016 la vie politique outre-Manche, ce n’est nullement le cas sur le Vieux Continent. «L’Union a d’autres préoccupations bien plus vitales pour son avenir que la négociation d’un accord commercial avec le Royaume-Uni», tacle un diplomate européen. De fait, entre la récession économique et la fragmentation du marché intérieur causées par le coronavirus, les provocations turques en Méditerranée contre deux Etats membres, l
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publié le 12 septembre 2020 à 20h57

Si les palinodies du gouvernement britannique sur le Brexit rythment depuis 2016 la vie politique outre-Manche, ce n’est nullement le cas sur le Vieux Continent. «L’Union a d’autres préoccupations bien plus vitales pour son avenir que la négociation d’un accord commercial avec le Royaume-Uni», tacle un diplomate européen. De fait, entre la récession économique et la fragmentation du marché intérieur causées par le coronavirus, les provocations turques en Méditerranée contre deux Etats membres, les assassinats ou tentative d’assassinats d’opposants par la Russie, la crise biélorusse ou les risques migratoires, l’Union n’a guère de temps à consacrer à Londres. «En faisant fuiter qu’il pourrait revenir sur certaines dispositions de l’accord de retrait, un accord international signé et ratifié par les deux parties, Boris Johnson a voulu placer le sujet du Brexit en haut de l’agenda européen» ,analyse ce même diplomate.

Unanimité

Le Premier ministre conservateur espère que ce qui n’est, pour l’instant, qu’un ballon d’essai va enfin faire bouger les Européens de leurs lignes rouges pourtant contenues dans l’accord conclu fin 2019. Vu la réaction unanime des Vingt-Sept, c’est loupé : «Je fais confiance au gouvernement britannique pour mettre en œuvre l’accord de retrait, une obligation en vertu du droit international et une condition préalable à tout futur partenariat», a ainsi tweeté lundi Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. Emmanuel Macron, qui s’est entretenu lundi par téléphone avec Boris Johnson, a sobrement salué, sur Twitter, un «très bon échange».

Cette manœuvre de «BoJo» a tout d’une manœuvre désespérée. En ne négociant pas réellement la relation future de son pays avec l’Union, il parie sur une peur d’un «Brexit dur» au 31 décembre, puisque jusqu’à cette date le Royaume-Uni reste membre du marché unique.

Le risque d’une perte de plusieurs points de croissance devait amener à une division des Vingt-Sept, leurs intérêts commerciaux vis-à-vis du Royaume-Uni étant loin d’être identiques, et donc à une possibilité «d’obtenir le beurre et l’argent du beurre», selon l’expression d’un diplomate. Le calcul n’était pas forcément totalement infondé - par exemple, sur la pêche, seuls huit Etats veulent défendre à tout prix leur droit d’accès aux eaux britanniques -, mais l’unité des Vingt-Sept ne s’est jamais démentie. En réalité, Londres a commis la même erreur qu’avec l’accord de retrait conclu fin 2019 : là aussi, l’Union est restée unie et la réécriture in extremis d’une partie de l’accord sur la frontière entre les deux Irlandes n’a rien changé.

Surtout, les cartes ont été rebattues par le coronavirus qui a mobilisé toute l’énergie des Etats membres, car l’intégrité même de l’Union était menacée. Il fallait à la fois rouvrir les frontières pour préserver le marché unique et mobiliser des moyens financiers pour sauver les économies frappées par une récession sans précédent depuis trois siècles en période de paix. En outre, l’accord de juillet sur la création d’un fonds de relance, avec une mutualisation des dettes qui est une première historique, a fait prendre conscience à ceux qui en doutaient des bénéfices du Brexit puisque Londres ne l’aurait jamais accepté. Désormais, les Vingt-Sept sont concentrés sur sa mise en œuvre et sur la négociation du budget 2021-2027, car il en va de leur survie.

«Conséquences»

Dans le marasme économique mondial, la perspective d’un «no deal» avec le Royaume-Uni, que personne ne souhaite, n’empêche plus vraiment quiconque de dormir. D’autant que ce n’est pas l’Union qui a le plus à perdre puisque près de la moitié des exportations britanniques sont à destination de l’UE… La chancelière allemande, Angela Merkel, dont le pays exerce la présidence tournante de l’Union, l’a dit sans ambages le 27 juin : le Royaume-Uni devra «assumer les conséquences» d’un Brexit dur. «En fait, on ne comprend pas ce qu’ils veulent», explique un diplomate européen. Angela Merkel a demandé à plusieurs reprises à Londres de préciser ses demandes : «Nous devons nous défaire de l’idée que c’est nous qui définissons ce que le Royaume-Uni devrait vouloir. Le Royaume-Uni définit et nous, en tant qu’Union européenne à vingt-sept, apportons la réponse appropriée», déclarait-elle fin juin. «Ils clament vouloir être souverain et décider de leurs normes, analyse un diplomate français, mais dans tout accord commercial, on s’engage à respecter les normes du marché dans lequel on veut exporter. Dès qu’on exporte, on n’est plus souverain.» Un discours pour l’instant inaudible à Londres.

Photo John Thys. Reuters

Article paru dans Libération du 8 septembre