Questions à Toby Green, enseignant-chercheur à King's College London et spécialiste des pays côtiers de l'Afrique de l'ouest et de l'histoire de l'esclavage dans ces régions. Il a publié chez Penguin en 2019 A Fistful of Shells.
Pouvez-vous
expliquer le titre de votre livre « Pour une poignée de coquillages »?
Les coquillages,
ou cauris, étaient des monnaies importantes dans de nombreuses régions de
l’Afrique de l’Ouest pendant l’époque précoloniale : c’est-à-dire, sur les
rives du fleuve Niger, dans le Royaume de Dahomey, à Oyo (pays Yoruba), et dans
le royaume du Kongo. La question des histoires des monnaies africaines est
probablement le plus important des sujets sur lesquels se penche ce livre : il
entend ainsi réfléchir sur l’histoire de l’époque précoloniale au-delà des
histoires de l’esclavage et de voir les bouleversements de l’histoire de
l’Afrique de l’Ouest pendant cette époque depuis le point de vue de l’insertion
des économies africaines dans l’économie mondiale. Il était donc important de
viser ces questions économiques dans le titre du livre.
En même temps, le
titre est un clin d’œil envers le titre du film de Clint Eastwood « Pour une
poignée de dollars ». Ainsi, les coquillages étaient une monnaie, même si
les économistes occidentaux les ont généralement considérés comme des « monnaies
primitives ». Le livre veut revenir sur cette idée reçue. Et en même
temps, tout comme dans le film d’Eastwood, c’est l’avidité pour l’argent des concurrents
dans l’océan atlantique qui va augmenter. Ceci va donc ajouter de fortes
pressions externes aux pressions internes déjà existantes en Afrique. Donc, le
titre veut aussi appeler l’attention sur cette question de l’avidité et sur le rôle
qu’elle a pu jouer sur les économies africaines.
Votre livre parle
d’argent et de pouvoir en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale. Quel
portrait peut-on dresser de ces régions aux XVe et XVIe siècles ?
C’est difficile
de faire le bilan : il faut lire le livre ! Mais pour faire un résumé très
bref, on voit que toutes les régions de l’Afrique de l’Ouest étaient déjà dans
le processus de mondialisation avant le XVe siècle. Cette mondialisation est
déjà pas mal connue pour le Mali et le Borno, mais pour le Kongo il faut aussi voir
les connections avec l’Océan indien. Pendant les siècles suivants, on voit en
effet les phénomènes suivants : accumulation d’argent avec l’augmentation de la
traite contre des devises, utilisation de cet argent pour la construction des États
et armées (comme en Europe), augmentation de la participation transnationale
africaine dans le monde que ce soit avec le Maghreb, l’Arabie, le Brésil, le
Portugal, le Vatican… Avec toutes ces régions, les dirigeants africains avaient
de fortes connections diplomatiques et commerciales. En outre, on assiste à la transformation
des mondes religieux et sociaux, avec de nouvelles techniques et cultures, de
nouveaux sanctuaires religieux et de nouvelles organisations sociales et
économiques. Ces transformations ont eu lieu à cause des fortes liaisons que
l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale entretenaient déjà avec les autres
continents.
Comment le
commerce transatlantique des esclaves a-t-il changé l’économie de l’Afrique ?
Ce qu’on voit
c’est la croissance des économies de « dépendance » dont parlent les politistes
aujourd’hui. C’est-à-dire, la dépendance envers l’importation des devises qui provoquait
l’accroissement de la traite et celle des marchés internes, mais avait aussi
pour effet d’augmenter la dépendance envers les commerçants de l’océan atlantique
qui apportaient ces devises. À travers les siècles, la valeur des devises
utilisées en Afrique diminuait en relation avec la valeur des devises utilisées
ailleurs, ce qui diminuait l’accumulation du capital en Afrique. En effet, il
était moins rentable d’investir dans les industries, parce que les économies d’échelles
voulaient dire que ces mêmes industries ne pouvaient pas faire de concurrence
avec les produits internationaux qui étaient amenés depuis l’Europe et l’Asie.
Donc, on a vu le déclin des industries africaines, l’inflation, et l’épuisement
des pouvoirs politiques. C’est dans ce contexte que la colonisation est arrivée
pendant le XIXe siècle.
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