Menu
Libération
Blog «Africa4»

Pour une poignée de coquillages

Blog Africa4dossier
Questions à Toby Green, enseignant-chercheur à King’s College London et spécialiste des pays côtiers de l’Afrique de l’ouest et de l’histoire de l’esclavage dans ces régions. Il a publié chez Penguin en 2019 A Fistful of Shells. Pouvez-vous expliquer le titre de votre livre « Pour une poignée de coquillages »?Les coquillages, ou cauris, étaient des monnaies importantes dans de nombreuses régions de l’Afrique de l’Ouest pendant l’époque précoloniale : c’est-à-dire, sur les rives du fleuve Ni
DR
publié le 13 septembre 2020 à 17h18

Questions à Toby Green, enseignant-chercheur à King's College London et spécialiste des pays côtiers de l'Afrique de l'ouest et de l'histoire de l'esclavage dans ces régions. Il a publié chez Penguin en 2019 A Fistful of Shells.

Pouvez-vous expliquer le titre de votre livre « Pour une poignée de coquillages »?
Les coquillages, ou cauris, étaient des monnaies importantes dans de nombreuses régions de l’Afrique de l’Ouest pendant l’époque précoloniale : c’est-à-dire, sur les rives du fleuve Niger, dans le Royaume de Dahomey, à Oyo (pays Yoruba), et dans le royaume du Kongo. La question des histoires des monnaies africaines est probablement le plus important des sujets sur lesquels se penche ce livre : il entend ainsi réfléchir sur l’histoire de l’époque précoloniale au-delà des histoires de l’esclavage et de voir les bouleversements de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest pendant cette époque depuis le point de vue de l’insertion des économies africaines dans l’économie mondiale. Il était donc important de viser ces questions économiques dans le titre du livre.
En même temps, le titre est un clin d’œil envers le titre du film de Clint Eastwood « Pour une poignée de dollars ». Ainsi, les coquillages étaient une monnaie, même si les économistes occidentaux les ont généralement considérés comme des « monnaies primitives ». Le livre veut revenir sur cette idée reçue. Et en même temps, tout comme dans le film d’Eastwood, c’est l’avidité pour l’argent des concurrents dans l’océan atlantique qui va augmenter. Ceci va donc ajouter de fortes pressions externes aux pressions internes déjà existantes en Afrique. Donc, le titre veut aussi appeler l’attention sur cette question de l’avidité et sur le rôle qu’elle a pu jouer sur les économies africaines.
Votre livre parle d’argent et de pouvoir en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale. Quel portrait peut-on dresser de ces régions aux XVe et XVIe siècles ?
C’est difficile de faire le bilan : il faut lire le livre ! Mais pour faire un résumé très bref, on voit que toutes les régions de l’Afrique de l’Ouest étaient déjà dans le processus de mondialisation avant le XVe siècle. Cette mondialisation est déjà pas mal connue pour le Mali et le Borno, mais pour le Kongo il faut aussi voir les connections avec l’Océan indien. Pendant les siècles suivants, on voit en effet les phénomènes suivants : accumulation d’argent avec l’augmentation de la traite contre des devises, utilisation de cet argent pour la construction des États et armées (comme en Europe), augmentation de la participation transnationale africaine dans le monde que ce soit avec le Maghreb, l’Arabie, le Brésil, le Portugal, le Vatican… Avec toutes ces régions, les dirigeants africains avaient de fortes connections diplomatiques et commerciales. En outre, on assiste à la transformation des mondes religieux et sociaux, avec de nouvelles techniques et cultures, de nouveaux sanctuaires religieux et de nouvelles organisations sociales et économiques. Ces transformations ont eu lieu à cause des fortes liaisons que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale entretenaient déjà avec les autres continents.
Comment le commerce transatlantique des esclaves a-t-il changé l’économie de l’Afrique ?
Ce qu’on voit c’est la croissance des économies de « dépendance » dont parlent les politistes aujourd’hui. C’est-à-dire, la dépendance envers l’importation des devises qui provoquait l’accroissement de la traite et celle des marchés internes, mais avait aussi pour effet d’augmenter la dépendance envers les commerçants de l’océan atlantique qui apportaient ces devises. À travers les siècles, la valeur des devises utilisées en Afrique diminuait en relation avec la valeur des devises utilisées ailleurs, ce qui diminuait l’accumulation du capital en Afrique. En effet, il était moins rentable d’investir dans les industries, parce que les économies d’échelles voulaient dire que ces mêmes industries ne pouvaient pas faire de concurrence avec les produits internationaux qui étaient amenés depuis l’Europe et l’Asie. Donc, on a vu le déclin des industries africaines, l’inflation, et l’épuisement des pouvoirs politiques. C’est dans ce contexte que la colonisation est arrivée pendant le XIXe siècle.

---

Suivez-nous sur notre page Facebook.

---