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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Etat de l'Union: Ursula von der Leyen évite les sujets qui fâchent

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L’Union européenne, en réanimation depuis mars dernier, est encore loin d’être sortie d’affaire : face à la pandémie de coronavirus, les Vingt-sept ont fait prévaloir leurs intérêts nationaux, chacun décidant de mesures sanitaires dans son coin, ce qui a bloqué le marché intérieur, enterré la libre circulation des personnes, créé une forte méfiance entre eux et, au final, plongé l’Union dans une récession sans précédent en temps de paix. Une crise systémique que les institutions communautaires o
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publié le 18 septembre 2020 à 21h32
(mis à jour le 18 septembre 2020 à 21h57)
L’Union européenne, en réanimation depuis mars dernier, est encore loin d’être sortie d’affaire : face à la pandémie de coronavirus, les Vingt-sept ont fait prévaloir leurs intérêts nationaux, chacun décidant de mesures sanitaires dans son coin, ce qui a bloqué le marché intérieur, enterré la libre circulation des personnes, créé une forte méfiance entre eux et, au final, plongé l’Union dans une récession sans précédent en temps de paix. Une crise systémique que les institutions communautaires ont tellement sous-estimée, en dehors de la Banque centrale européenne, qu’il a fallu que la France et l’Allemagne prennent les commandes pour sauver ce qui pouvait l’être, ce qui a souligné les graves faiblesses institutionnelles de l’Union. On attendait donc à tout le moins que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dresse, pour son premier discours sur « l’État de l’Union », prononcé le 16 septembre devant le Parlement européen, un état des lieux sans concession et donne des pistes pour que cela ne se reproduise plus à l’avenir. Or, elle a soigneusement évité les sujets qui fâchent, se contentant d’égrainer les succès passés qui ne lui doivent pas souvent grand-chose et de lister un catalogue désordonné de projetsf qu’elle va mettre sur la table.

Ce n'est pas un hasard si les mesures phares annoncées par l'ancienne ministre de la défense allemande portent essentiellement sur l'environnement et son « green new deal » sur lequel elle s'est fait élire en juillet 2019 : c'est là où s'est arrêtée la « vie d'avant » de l'Union, lorsqu'elle s'était mise d'accord, en décembre 2019, sur la neutralité carbone d'ici à 2050 (seule la Pologne n'y souscrivant pas). Comme le demandait le Parlement européen, elle propose désormais une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre (par rapport au niveau de 1990) d'ici à 2030 au lieu de 40 % comme cela était prévu précédemment, ce qui rend l'objectif de 2050 davantage crédible. Afin de ne pas désavantager les produits européens, elle a aussi annoncé qu'elle allait proposer début 2021, comme le demandait notamment la France, une taxe carbone aux frontières qui visera les produits ne respectant pas l'accord de Paris. Mieux : 30 % de l'ensemble des fonds européens pour la période 2021-2027 seront consacrés à la lutte contre le changement climatique.

Annus horibilis

Pour le reste, Ursula von der Leyen a comme un blanc sur la période qui débute en mars, lorsque la Commission passe totalement à côté de la pandémie de coronavirus : pour son discours des 100 jours, début mars, la présidente n’en dit d’ailleurs pas un mot. Pourtant, l’Italie, totalement dépassée, appelle à l’aide sans que personne ne lui réponde, l’Allemagne et la France décrétant même un embargo sur le matériel médical, et les pays ferment leurs frontières les uns après les autres. Certes, sans compétence directe en matière de santé, la Commission ne pouvait pas faire grand-chose de contraignant dans ce domaine, mais elle aurait pu s’inquiéter de la fragmentation en cours du marché intérieur. Surtout, elle aurait pu tenter d’agir politiquement : Ursula von der Leyen n’a-t-elle pas proclamer qu’elle voulait une commission « géopolitique » ? Il a fallu que la France exige la convocation d’un conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, à la mi-mars, pour que les Européens recommencent à jouer collectif. Ensuite, toutes les initiatives prises l’ont été sur demande des gouvernements, la Commission les mettant en musique : suspension du Pacte de stabilité budgétaire, assouplissement des règles sur les aides d’État (3000 milliards approuvées), validation des plans de relance nationaux, mobilisation du budget européen et de la Banque européenne d’investissement, fonds SURE d’aide au financement du chômage partiel (16 pas vont recevoir 90 milliards d’euros a annoncé von der Leyen), fonds de relance de 750 milliards d’euros qui seront empruntés sur les marchés par la Commission, réouverture progressive des frontières, etc.

La Commission a-t-elle tiré les leçons de cette annus horribilis ? Même pas : depuis la fin du mois de juillet, les Etats, terrifiés par une possible reprise de la pandémie, ont recommencé à fermer leurs frontières au point qu’aujourd’hui la libre circulation n’est plus qu’un souvenir, le marché unique se cloisonne doucement, des secteurs entiers (tourisme, transports) sont totalement sinistrés. Là aussi, il a fallu que l’Allemagne et la France tapent du poing sur la table pour que la Commission propose enfin la semaine dernière une harmonisation des critères sanitaires et un système d’information préalable. Un minimum minimorum. On attendait donc qu’Ursula von der Leyen livre sa lecture des deux mois écoulés : on restera sur sa faim, puisqu’elle se contente de réclamer des compétences en matière de santé dans la prochaine réforme des traités, ce qui est un sujet, mais pas le seul loin de là. Aucune autocritique, aucune critique des États.

Secrétaire générale

Même sur son terrain, elle se comporte davantage comme une secrétaire générale du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement qu’en présidente de l’exécutif européen. Ainsi, elle n’analyse pas ce qui s’est passé lors du conseil européen de juillet qui a adopté le fonds de relance de 750 milliards d’euros et taillé à la serpe dans le budget communautaire 2021-2027 : en effet, l’argent des programmes communautaires géré directement par Bruxelles via le budget est réduit à la portion congrue, alors que celui du fonds de relance sera remis aux États qui le dépenseront largement comme ils l’entendent, ce qui n’est pas un progrès de l’intégration communautaire. La présidente de la Commission n’évoque même pas le futur de cette première dans l’histoire européenne, la mutualisation partielle des dettes. En effet, ce fonds est prévu pour une durée de 3 ans seulement. Est-elle favorable à sa pérennisation ? Mystère. Elle ne dit pas un mot non plus sur le remboursement des 750 milliards d’emprunts : des contributions nationales des États, ce qui risque de se traduire par une nouvelle diminution du budget européen, ou de nouveaux impôts européens (taxe sur les activités du numérique, taxe sur les transactions financières, une partie de l’impôt sur les sociétés ou du système d’échange d’émission carbone, etc.) ?

Alors que les États ont déjà commencé à réfléchir à l’avenir de l’Union, une conférence devant se réunir en 2021, Ursula von der Leyen semble s’en désintéresser totalement, alors que la séquence de la pandémie a montré à quel point une Union gérée à l’unanimité par des États aura le plus grand mal à survivre dans le monde extrêmement fluide du XXIe siècle : on ne peut attendre six mois pour réagir aux évènements en Biélorussie ou aux agressions de la Turquie ou de la Chine. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle n’a pas dit un mot sur la défense européenne, pourtant un sujet majeur pour l’avenir de l’Europe. Bref, un discours sur « l’État de l’Union » qui doit se lire en creux, ce qu’il ne dit pas étant plus intéressant que ce qu’il dit.

N.B.: article paru le 16 septembre

Photo: Francisco Seco AP