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Paléométallurgie en Afrique

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Questions à Caroline Robion-Brunner, chargée de recherche HDR CNRS, Centre des Etudes Ethiopiennes (Addis Abeba, Ethiopie). Elle est l’autrice de l’article « Pourquoi ton four n’est pas comme le mien ? » Diversité technique dans la sidérurgie ancienne : le cas du Dendi (Bénin) . Qu’est-ce que la paléométallurgie et comment l’étudiiez-vous en Afrique (sur votre terrain en particulier) ? La paléométallurgie est la science qui étudie l’ensemble des procédés de transformation et d’ut
Vestiges d'un atelier de réduction du minerai de fer au pays Dogon (Mali). Deux amas de scories accolées en forme de cratère aux dimensions très importantes (100m de long X 50m de large x 2,5m de haut), photographie C. Robion-Brunner janvier 2002.
publié le 20 septembre 2020 à 15h29

Qu’est-ce que la paléométallurgie et comment l’étudiiez-vous en Afrique (sur votre terrain en particulier) ?

La paléométallurgie est la science qui étudie l’ensemble des procédés de transformation et d’utilisation des métaux (or, argent, cuivre, fer, etc.) dans les sociétés pré-industrielles. Elle recouvre ainsi toutes les questions relatives à l’histoire des techniques métallurgiques : Quand ? Où ? Comment ? Qui ? Pour qui ? Combien ? Pour cela, elle utilise les fouilles archéologiques afin d’étudier et d’échantillonner les structures (atelier, four, foyer), les déchets (parois de structures, scories, moules) et les objets (outils, produits manufacturés) relatifs aux activités métallurgiques ; tous les instruments d’analyse en laboratoire pour caractériser la nature et la structure des métaux, identifier les matières premières utilisées (minerai, combustible, matériaux de construction), retrouver les techniques de fabrication et restituer les réseaux de diffusion des métaux anciens ; et les sources textuelles et orales pour établir les savoirs transmis, l’identité des acteurs de la métallurgie et l’organisation économique et politique.
J’ai débuté l’étude de l’histoire et l’archéologie de la métallurgie et des métallurgistes au pays Dogon (Mali) dans le cadre de ma thèse de doctorat, puis j’ai mené des recherches dans le Dendi (Bénin), et depuis 2013, je dirige un programme de recherche en paléométallurgie au Togo/Bénin/Ghana. Le 1er septembre 2020, j’ai rejoint le Centre français des études éthiopiennes dans le cadre d’une affectation CNRS. Cette opportunité professionnelle me permettra de poursuivre des recherches comparatives sur les différents systèmes techniques et mécanismes de diffusion des métaux.
Mon approche méthodologique allie enquêtes orales, prospections, opérations archéologiques et analyses en laboratoire. Les interviews sont ciblées sur l’identité des artisans des métaux, leurs ascendances familiales, les techniques métallurgiques traditionnelles, leurs croyances et leurs rapports sociaux. Lorsque la mémoire collective et individuelle est encore vivante, les informations permettent de suivre les forgerons à travers les siècles et d’envisager l’origine de ces artisans et leurs parcours migratoires. Lors de ces discussions, j’aborde également la question du métal sous un angle techno-économique : sa provenance, les techniques élaborées pour son acquisition, les circuits de diffusion, l’identité des producteurs… Ces données informent sur les perceptions qu’ont les populations actuelles des espaces métallurgiques et ainsi rendent compte des valeurs accordées par les hommes à ces lieux d’activité. L’âge de fonctionnement ou d’abandon de certains ateliers peut également être établi à partir de données ethnohistoriques. Pour caractériser les techniques d’une région définie, il est important de recenser et décrire les vestiges matériels découverts lors des prospections. Ainsi, les ateliers sont systématiquement localisés sur le terrain, visités et documentés au moyen de descriptions, de photographies et de relevés. Ils abritent les vestiges des structures de réduction des minerais métallifères et les déchets des activités. Ces derniers sont appelés « scorie » en métallurgie. Les scories sont produites lors de la réduction du minerai. Lorsque la température à l’intérieur d’un four atteint les 1200°C, le métal contenu dans le minerai s’agglomère à l’état pâteux dans la partie la plus chaude du four et la scorie (mélange d’oxydes divers) est évacuée à l’intérieur ou à l’extérieur du four. La forme, la couleur, l’aspect et la densité des scories informe sur leurs conditions de formation et sur les techniques utilisées. Leur étude nous permet de reconstituer la manière dont les Anciens ont produit du métal et leur quantification de calculer de manière assez précise le volume de production et l’ampleur des activités. Pour préciser ces premières observations in situ, on peut avoir recours à des analyses chimiques et minéralogiques en laboratoire. Les restes des fourneaux mis au jour sont également étudiés dans la perspective de la reconstituer des techniques, leur fouille permet également de prélever des charbons de bois en vue de dater les vestiges métallurgiques. Ces datations par la méthode du 14C interviennent en complément des informations de la tradition orale. Elles sont indispensables pour appréhender les périodes anciennes. L’étude anthracologique des charbons de bois livre en outre de précieux renseignements sur le couvert végétal et le mode d’exploitation des ressources boisées .
Que nous apprend cette paléo métallurgie sur les sociétés que vous étudiez ?
La paléo métallurgie va beaucoup plus loin que la simple étude des techniques. Elle permet d’évaluer la place des productions métallurgiques dans le développement des sociétés humaines et l’impact environnemental de ces activités. Compte tenu de la place des productions métallurgiques dans le développement des sociétés humaines, étudier cette activité est indispensable à la compréhension de l’émergence et de l’affirmation des formations pré-étatiques et étatiques en Afrique. La métallurgie tient en effet une place particulière dans l’histoire car elle est peut-être l’activité dans laquelle la maîtrise des ressources naturelles est la plus avancée. Elle implique une chaîne opératoire longue et complexe durant laquelle les propriétés physiques et chimiques des matières premières se modifient. Maîtriser les procédés métallurgiques, c’est être capable de produire des matériaux aux propriétés inexistantes à l’état naturel. Ces métaux, bruts ou alliés, vont d’ailleurs se retrouver utilisés dans tous les domaines : l’agriculture, l’artisanat, l’armement, l’ornementation, la construction. Depuis l’introduction de la métallurgie, les artisans n’ont eu de cesse de créer de nouvelles combinaisons métalliques et de modifier leurs techniques de production. Le prisme de la métallurgie offre donc une opportunité unique de traverser l’histoire et les territoires en interrogeant la place des métallurgies et des métallurgistes dans les sociétés et, ce faisant, de suivre les étapes d’invention, d’innovation et de dissémination. L’identification de ces mécanismes est un enjeu essentiel dans la compréhension des sociétés qui en sont à l’origine et de celles qui apprennent des autres ou qui consomment les produits des autres. Si ce principe est aujourd’hui admis, son ampleur, sa chronologie et sa diversité restent encore très largement méconnues dans le monde et plus particulièrement en Afrique.
Par exemple au pays Dogon, mes recherches ont montré la présence de sept traditions sidérurgiques différentes sur ce territoire grand comme l’Ile-de-France. Dans cette région du Mali, la production du fer commence au milieu du Ier millénaire et cesse progressivement au début du XXe siècle, remplacée par l’importation de fer européen. Six techniques de réduction du minerai de fer y ont été actives en même temps, à savoir entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Ainsi dans un espace géographique restreint et interconnecté, du fer a été produit selon des processus techniques différents mais contemporains les uns des autres. L’existence d’une telle diversité au sein d’un même espace a de quoi surprendre. Elle suggère que le fait technique ne peut être considéré uniquement dans une perspective fonctionnaliste et/ou évolutionniste, car celle-ci ne pourrait rendre compte de la cohabitation de traditions divergentes dans la longue durée. Il faut ici faire intervenir des facteurs culturels tels que l’identité des métallurgistes, qui peut s’exprimer à travers la culture matérielle. D’ailleurs, les données ethnohistoriques révèlent que la caste de forgerons établis sur le plateau de Bandiagara s’est constituée au pays dogon à partir d’un substrat de peuplement autochtone auquel se sont ajoutés des groupes successifs provenant de l’extérieur. Cette transformation volontaire ou contrainte a ainsi vu l’émergence de spécialistes du fer répondant à des besoins économiques en forte croissance, qui peuvent avoir été liés à l’hégémonie des empires ouest-africains médiévaux. Dynamisme économique régional et rencontre de groupes sociaux divers ont ainsi pu contribuer à la diversification des procédés de réduction du minerai de fer, conservés à travers les siècles comme des signatures identitaires.

Quel aspect en particulier vous semble le plus prometteur pour comprendre le passé africain ?

Concernant l’histoire de la métallurgie, je pense que, tout en menant des études régionales, il faut commencer à restituer les circuits de diffusion des métaux, de l’extraction du minerai aux lieux de consommation des objets métalliques en passant par les ateliers de fabrication. Pour cela, il faut caractériser les gisements de minerai de fer afin de déterminer ceux sélectionnées et exploités par les métallurgistes. Or les études consacrées à la genèse des gisements de fer en Afrique sont en nombre limité. Il conviendrait donc d’établir la signature chimique des gisements, des scories et des objets en fer pour tracer les réseaux de diffusion du métal depuis les lieux de production jusqu’aux lieux de consommation. C’est seulement cette mise en connexion qui permettrait d’aborder l’économie des sociétés. En collaboration avec un géologue métallogéniste ( Didier Beziat , université Paul Sabatier - Toulouse) et une archéomètre (Marie-Pierre Coustures , université Jean Jaurès – Toulouse), de premiers essais de caractérisation chimique ont été réalisés dans trois régions sidérurgiques d’Afrique de l’Ouest : les région de Bassar (Nord du Togo), du Dendi (Nord-Est du Bénin) et du Plateau (Sud-Est du Bénin). Ils sont prometteurs car les compositions chimiques des minerais de fer et des scories provenant des ateliers métallurgiques laissent entrevoir la possibilité d’établir une signature chimique régionale des productions de fer de ces trois secteurs et de suivre le fer jusque dans ses différents lieux de consommation. Ils vont être poursuivis dans le nouveau programme AFRICA (Archéométallurgie du Fer : Ressources, Identités et Commerce en Afrique) que j’ai lancé en 2019 grâce au financement de la commission des fouilles du ministère des affaires étrangères. Centré sur le Bénin, le Togo et le Ghana, ce projet ambitionne de débuter la première base de données des signatures chimiques des minerais et scories d’Afrique de l’Ouest afin de reconstituer l’économie du fer. Une première mission de terrain centrée sur la caractérisation des gisements de fer de Bassar et l’identification de ceux de Tado (Togo) et du plateau d’Abomey-Bohicon (Bénin) ainsi que l’échantillonnage des minerais utilisés par les Anciens a déjà été réalisée en décembre 2019. L’étude minéralogique et géochimique (éléments majeurs et traces) des échantillons est en cours. Nous attendons avec impatience leurs résultats qui permettront de mettre en évidence des caractéristiques propres à chacun de ces sites, de relier les échantillons de minerai retrouvés sur les amas de scorie à un site d’exploitation, et de travailler sur les critères de traçabilité des fers produits.
Concernant l’histoire en général de l’Afrique, ce sont la poursuite des programmes de recherches interdisciplinaires sur terrain et en laboratoire, ainsi que le développement de l’archéologie préventive qui permettront d’enrichir considérément nos connaissances. Ce continent est en pleine transformation, les travaux d’aménagement (infrastructures de transport et d’énergie, défrichement, activités industrielles et expansion urbaine) s’accélèrent et viennent perturber le sol mettant en danger les vestiges archéologiques qui y sont enfouis. Sans la mise en place d’institutions nationales et régionales en Afrique en charge de l’archéologie préventive, toutes les données que recèlent ces vestiges seront irrémédiablement perdues. Par contre, leur établissement entraînera un renouvèlement de l’approche et des connaissances sur les périodes préhistoriques et historiques grâce à l’étendue des zones étudiées et l’ampleur des vestiges exhumés. De plus, l’archéologie préventive n’est pas régit par une problématique prédéterminée à l’avance comme le sont les programmes de recherches. L’objectif de sauvegarder par l’étude les archives du sol permet de révéler des vestiges inconnus et d’étudier plus globalement les territoires et les sociétés passés.

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