Questions à Caroline Robion-Brunner, chargée de recherche HDR CNRS, Centre des Etudes Ethiopiennes (Addis Abeba, Ethiopie). Elle est l'autrice de l'article « Pourquoi ton four n'est pas comme le mien ? » Diversité technique dans la sidérurgie ancienne : le cas du Dendi (Bénin) .
Qu’est-ce que la paléométallurgie et comment l’étudiiez-vous en Afrique (sur votre terrain en particulier) ?
La
paléométallurgie est la science qui étudie l’ensemble des procédés de
transformation et d’utilisation des métaux (or, argent, cuivre, fer, etc.) dans
les sociétés pré-industrielles. Elle recouvre ainsi toutes les questions
relatives à l’histoire des techniques métallurgiques : Quand ?
Où ? Comment ? Qui ? Pour qui ? Combien ? Pour cela,
elle utilise les fouilles archéologiques afin d’étudier et d’échantillonner les
structures (atelier, four, foyer), les déchets (parois de structures, scories,
moules) et les objets (outils, produits manufacturés) relatifs aux activités
métallurgiques ; tous les instruments d’analyse en laboratoire pour caractériser
la nature et la structure des métaux, identifier les matières premières
utilisées (minerai, combustible, matériaux de construction), retrouver les techniques
de fabrication et restituer les réseaux de diffusion des métaux anciens ;
et les sources textuelles et orales pour établir les savoirs transmis,
l’identité des acteurs de la métallurgie et l’organisation économique et
politique.
J’ai débuté l’étude de l’histoire et
l’archéologie de la métallurgie et des métallurgistes
au
pays Dogon
(Mali) dans le cadre de ma thèse de doctorat, puis j’ai mené des
recherches dans
le Dendi
(Bénin), et depuis 2013, je dirige un programme de recherche en
paléométallurgie au
Togo/Bénin/Ghana.
Le 1er septembre 2020, j’ai rejoint le
Centre français des études éthiopiennes
dans le cadre d’une affectation CNRS. Cette opportunité professionnelle me
permettra de poursuivre des recherches comparatives sur les différents systèmes
techniques et mécanismes de diffusion des métaux.
Mon approche
méthodologique
allie enquêtes orales, prospections, opérations
archéologiques et analyses en laboratoire. Les interviews sont ciblées sur
l’identité des artisans des métaux, leurs ascendances familiales, les
techniques métallurgiques traditionnelles, leurs croyances et leurs rapports
sociaux. Lorsque la mémoire collective et individuelle est encore vivante, les
informations permettent de suivre les forgerons à travers les siècles et
d’envisager l’origine de ces artisans et leurs parcours migratoires. Lors de
ces discussions, j’aborde également la question du métal sous un angle
techno-économique : sa provenance, les techniques élaborées pour son
acquisition, les circuits de diffusion, l’identité des producteurs… Ces données
informent sur les perceptions qu’ont les populations actuelles des espaces
métallurgiques et ainsi rendent compte des valeurs accordées par les hommes à
ces lieux d’activité. L’âge de fonctionnement ou d’abandon de certains ateliers
peut également être établi à partir de données ethnohistoriques. Pour
caractériser les techniques d’une région définie, il est important de recenser
et décrire les vestiges matériels découverts lors des prospections. Ainsi, les ateliers
sont systématiquement localisés sur le terrain, visités et documentés au moyen
de descriptions, de photographies et de relevés. Ils abritent les vestiges des
structures de réduction des minerais métallifères et les déchets des activités.
Ces derniers sont appelés « scorie » en métallurgie. Les scories sont
produites lors de la réduction du minerai. Lorsque la température à l’intérieur
d’un four atteint les 1200°C, le métal contenu dans le minerai s’agglomère à
l’état pâteux dans la partie la plus chaude du four et la scorie (mélange
d’oxydes divers) est évacuée à l’intérieur ou à l’extérieur du four. La forme,
la couleur, l’aspect et la densité des scories informe sur leurs conditions de
formation et sur les techniques utilisées. Leur étude nous permet de
reconstituer la manière dont les Anciens ont produit du métal et leur
quantification de calculer de manière assez précise le volume de production et
l’ampleur des activités. Pour préciser ces premières observations
in situ, on peut avoir recours à des
analyses chimiques et minéralogiques en laboratoire. Les restes des fourneaux
mis au jour sont également étudiés dans la perspective de la reconstituer des
techniques, leur fouille permet également de prélever des charbons de bois en
vue de dater les vestiges métallurgiques. Ces datations par la méthode du 14C
interviennent en complément des informations de la tradition orale. Elles sont
indispensables pour appréhender les périodes anciennes. L’étude anthracologique
des charbons de bois livre en outre de précieux renseignements sur le couvert
végétal et
le
mode d’exploitation des ressources boisées
.
Que
nous apprend cette paléo métallurgie sur les sociétés que vous étudiez ?
La paléo métallurgie
va beaucoup plus loin que la simple étude des techniques. Elle permet d’évaluer
la place des productions métallurgiques dans le développement des sociétés
humaines et l’impact environnemental de ces activités. Compte tenu de la place
des productions métallurgiques dans le développement des sociétés humaines,
étudier cette activité est indispensable à la compréhension de l’émergence et
de l’affirmation des formations pré-étatiques et étatiques en Afrique. La métallurgie
tient en effet une place particulière dans l’histoire car elle est peut-être
l’activité dans laquelle la maîtrise des ressources naturelles est la plus
avancée. Elle implique une chaîne opératoire longue et complexe durant laquelle
les propriétés physiques et chimiques des matières premières se modifient.
Maîtriser les procédés métallurgiques, c’est être capable de produire des
matériaux aux propriétés inexistantes à l’état naturel. Ces métaux, bruts ou
alliés, vont d’ailleurs se retrouver utilisés dans tous les domaines : l’agriculture,
l’artisanat, l’armement, l’ornementation, la construction. Depuis
l’introduction de la métallurgie, les artisans n’ont eu de cesse de créer de
nouvelles combinaisons métalliques et de modifier leurs techniques de production.
Le prisme de la métallurgie offre donc une opportunité unique de traverser
l’histoire et les territoires en interrogeant la place des métallurgies et des
métallurgistes dans les sociétés et, ce faisant, de suivre les étapes
d’invention, d’innovation et de dissémination. L’identification de ces
mécanismes est un enjeu essentiel dans la compréhension des sociétés qui en
sont à l’origine et de celles qui apprennent des autres ou qui consomment les
produits des autres. Si ce principe est aujourd’hui admis, son ampleur, sa
chronologie et sa diversité restent encore très largement méconnues dans le
monde et plus particulièrement en Afrique.
Par exemple au pays Dogon, mes recherches ont
montré la présence de
sept
traditions sidérurgiques différentes
sur ce territoire grand comme l’Ile-de-France.
Dans cette région du Mali, la production du fer commence au milieu du Ier
millénaire et cesse progressivement au début du XXe siècle, remplacée par
l’importation de fer européen. Six techniques de réduction du minerai de fer y ont
été actives en même temps, à savoir entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Ainsi
dans un espace géographique restreint et interconnecté, du fer a été produit
selon des processus techniques différents mais contemporains les uns des
autres. L’existence d’une telle diversité au sein d’un même espace a de quoi
surprendre. Elle suggère que le fait technique ne peut être considéré
uniquement dans une perspective fonctionnaliste et/ou évolutionniste, car
celle-ci ne pourrait rendre compte de la cohabitation de traditions divergentes
dans la longue durée. Il faut ici faire intervenir des facteurs culturels tels
que l’identité des métallurgistes, qui peut s’exprimer à travers la culture
matérielle. D’ailleurs, les
données
ethnohistoriques
révèlent que la caste de forgerons établis sur le plateau
de Bandiagara s’est constituée au pays dogon à partir d’un substrat de
peuplement autochtone auquel se sont ajoutés des groupes successifs provenant
de l’extérieur. Cette transformation volontaire ou contrainte a ainsi vu
l’émergence de spécialistes du fer répondant à des besoins économiques en forte
croissance, qui peuvent avoir été liés à l’hégémonie des empires
ouest-africains médiévaux. Dynamisme économique régional et rencontre de
groupes sociaux divers ont ainsi pu contribuer à la diversification des
procédés de réduction du minerai de fer, conservés à travers les siècles comme
des signatures identitaires.
Quel aspect en particulier vous semble le plus prometteur pour comprendre le passé africain ?
Concernant
l’histoire de la métallurgie, je pense que, tout en menant des études
régionales, il faut commencer à restituer les circuits de diffusion des métaux,
de l’extraction du minerai aux lieux de consommation des objets métalliques en
passant par les ateliers de fabrication. Pour cela, il faut caractériser les
gisements de minerai de fer afin de déterminer ceux sélectionnées et exploités
par les métallurgistes. Or les études consacrées à la genèse des gisements de
fer en Afrique sont en nombre limité. Il conviendrait donc d’établir la
signature chimique des gisements, des scories et des objets en fer pour tracer
les réseaux de diffusion du métal depuis les lieux de production jusqu’aux
lieux de consommation. C’est seulement cette mise en connexion qui permettrait
d’aborder l’économie des sociétés. En collaboration avec un géologue
métallogéniste (
Didier
Beziat
, université Paul Sabatier - Toulouse) et une archéomètre (Marie-Pierre
Coustures
, université Jean Jaurès – Toulouse), de premiers essais de
caractérisation chimique ont été réalisés dans trois régions sidérurgiques
d’Afrique de l’Ouest : les région de Bassar (Nord du Togo), du Dendi (Nord-Est
du Bénin) et du Plateau (Sud-Est du Bénin). Ils sont prometteurs car les
compositions chimiques des minerais de fer et des scories provenant des
ateliers métallurgiques laissent entrevoir la possibilité d’établir une
signature chimique régionale des productions de fer de ces trois secteurs et de
suivre le fer jusque dans ses différents lieux de consommation. Ils vont être
poursuivis dans le nouveau programme AFRICA (Archéométallurgie du Fer :
Ressources, Identités et Commerce en Afrique) que j’ai lancé en 2019 grâce au
financement de la commission des fouilles du ministère des affaires étrangères.
Centré sur le Bénin, le Togo et le Ghana, ce projet ambitionne de débuter la
première base de données des signatures chimiques des minerais et scories
d’Afrique de l’Ouest afin de reconstituer l’économie du fer. Une première
mission de terrain centrée sur la caractérisation des gisements de fer de
Bassar et l’identification de ceux de Tado (Togo) et du plateau
d’Abomey-Bohicon (Bénin) ainsi que l’échantillonnage des minerais utilisés par
les Anciens a déjà été réalisée en décembre 2019. L’étude minéralogique et
géochimique (éléments majeurs et traces) des échantillons est en cours. Nous
attendons avec impatience leurs résultats qui permettront de mettre en évidence
des caractéristiques propres à chacun de ces sites, de relier les échantillons
de minerai retrouvés sur les amas de scorie à un site d’exploitation, et de
travailler sur les critères de traçabilité des fers produits.
Concernant
l’histoire en général de l’Afrique, ce sont la poursuite des programmes de
recherches interdisciplinaires sur terrain et en laboratoire, ainsi que le
développement de l’archéologie préventive qui permettront d’enrichir
considérément nos connaissances. Ce continent est en pleine transformation, les
travaux d’aménagement (infrastructures de transport et d’énergie, défrichement,
activités industrielles et expansion urbaine) s’accélèrent et viennent
perturber le sol mettant en danger les vestiges archéologiques qui y sont
enfouis. Sans la mise en place d’institutions nationales et régionales en
Afrique en charge de l’archéologie préventive, toutes les données que recèlent
ces vestiges seront irrémédiablement perdues. Par contre, leur établissement
entraînera un renouvèlement de l’approche et des connaissances sur les périodes
préhistoriques et historiques grâce à l’étendue des zones étudiées et l’ampleur
des vestiges exhumés. De plus, l’archéologie préventive n’est pas régit par une
problématique prédéterminée à l’avance comme le sont les programmes de
recherches. L’objectif de sauvegarder par l’étude les archives du sol permet de
révéler des vestiges inconnus et d’étudier plus globalement les territoires et
les sociétés passés.
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