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Libération
Si j'ai bien compris ...

La démocratie est-elle un bon coup ?

Et, surtout, comment la protéger si le préservatif suprême se révèle poreux ?
publié le 25 septembre 2020 à 18h46

S

i j'ai bien compris, la démocratie n'est guère triomphante ces temps-ci. A force qu'on nous ressasse que c'est le moins mauvais système, on finit par avoir envie de passer au meilleur : le moins mauvais, que ce soit boulot, plat du jour ou partenaire, c'est vrai que ce n'est pas enthousiasmant. C'est rare d'avoir un secteur où on a si peu d'ambition. On n'avait pas saisi que la fameuse phrase churchillienne («le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres») nous promettait aussi du sang, de la sueur et des larmes. Le slogan convenant à tous les candidats partout dans le monde : «Ça pourrait être pire». Certes, mais ça ne décourage pas l'abstention. Le slogan des peuples démocrates : «Ça pourrait être mieux». La démocratie fait rêver ceux qui ne l'ont pas, tandis que les gagnants de la démocratie la jouent blasés. Il est indéniable qu'il y a des cas où c'est aussi bien de ne pas voter. Si on se soumettait à la majorité, ce serait frites tous les jours dans une famille avec au moins trois enfants. Si le public avait le droit de vote lors de la Coupe du monde de football, y aurait-il moins d'erreurs d'arbitrage (ou la Chine battrait-elle l'Inde à chaque finale) ? Si on en passait par un référendum, démocrates que nous sommes, peut-être que la peine de mort serait encore debout. A l'inverse, si on avait fait voter les passagers du Titanic, peut-être que sa trajectoire aurait été plus heureuse.

En France, on imagine difficilement un combat acharné pour la désignation des membres du Conseil constitutionnel où siègent jusqu’à présent moins d’icônes qu’à la Cour suprême américaine. Certes, on ne vote pas sur les impétrants, mais on n’a pas l’impression que la droite et la gauche s’y livrent un combat à couteaux tirés, ça ronronne plutôt gentiment dans un cadre qu’ils savent rendre douillet. On a rarement reçu leurs arrêts avec une vive émotion. D’un autre côté, ça ne le ferait pas non plus si Donald Trump, battu, se retrouvait d’office à la Cour suprême en tant qu’ancien président, avec George W. Bush comme expert en relations internationales et Bill Clinton pour s’occuper des si en vogue affaires moralo-sexuelles. A l’heure qu’il est, les juges suprêmes nommés par Donald Trump n’ont pas encore vraiment fait des leurs. Il faut dire qu’un certain prestige reste attaché à cette institution et que, question prestige, quand on a été nommé par Donald Trump, on a du chemin à rattraper. Il y a cependant quelque chose de paradoxal à prendre des membres à vie pour s’assurer de leur indépendance après les avoir justement choisis parce qu’ils sont pro-républicains (ou pro-démocrates). Au moins, c’est franc. La justice est bonne fille aux Etats-Unis : il y a un droit républicain et un droit démocrate à ne pas mélanger, il faut que ou torchon ou serviette soit majoritaire.

La démocratie, il faut la surveiller comme le lait sur le feu. Non qu’elle risque de déborder, mais plutôt de s’évaporer si on a élu qui on n’aurait pas dû, comme les Etats-Unis en font l’expérience et comme Marine Le Pen ne demanderait pas mieux que de la faire en France. Le problème, avec la démocratie, c’est que c’est plus difficile de prétendre que c’est la faute des autres. On peut la trouver amère, mais le principe est qu’on est un peu responsables (et coupables ?). Le fait qu’après chaque élection on puisse dire «encore raté» conduit à se demander si on ne fait pas soi-même partie de la chaîne du ratage. Si j’ai bien compris, la démocratie, ce n’est pas toujours de la tarte, mais parfois de la confiture à des cochons.