Tribune. Le 11 octobre 1972 débute le procès de Bobigny, emblématique de la lutte pour les droits des femmes. Gisèle Halimi y défend une mineure accusée d'avoir avorté suite à un viol. Ce bras de fer juridique mené par l'avocate permet que soit reconnu le droit inaliénable des femmes à disposer de leur corps : après ce procès, la loi Veil de 1975 dépénalise enfin l'interruption volontaire de grossesse.
A lire aussiGisèle Halimi : une pour toutes
Afin de célébrer cette victoire et rappeler l’importance des luttes menées par Gisèle Halimi, un rassemblement se tiendra le 11 octobre prochain, devant le Panthéon, afin de demander qu’elle rejoigne les quelque 73 hommes et (seulement) 5 femmes panthéonisé·es.
Nous, citoyen·nes, femmes, personnes LBGT+, personnes minorisées, personnes racisées et notamment d’origine algérienne, devons à Gisèle Halimi : la dépénalisation de l’avortement (1975), la criminalisation du viol (1980, dans la foulée du procès d’Aix-en-Provence), la fin de la discrimination dans l’âge de la majorité sexuelle, dont elle a porté la loi en tant que députée (en 1982, la majorité sexuelle pour les personnes homosexuelles passe de 21 à 15 ans, soit le même âge que pour les personnes hétérosexuelles). Anticolonialiste, elle a lutté pour la reconnaissance des viols et tortures commis par l’armée française sur la population algérienne pendant la guerre d’Algérie, et a défendu nombre de militant·es pour l’indépendance de l’Algérie, dont des membres du FLN. Elle a également défendu l’indépendance de la Tunisie et été l’avocate de militant·es tunisien·nes. Enfin, elle a pris part à plusieurs tribunes pour la cause palestinienne, condamnant la politique coloniale et guerrière d’Israël.
Des combats qui ont porté les droits des femmes
Notre pays est aujourd’hui fait de ces populations qui ont souffert et souffrent encore d’injustices et de violences terribles. Notre pays est aujourd’hui fait de femmes violées qui peuvent porter plainte, de femmes devant avoir recours à l’avortement, de citoyen·nes franco-algérien·nes dont les aïeul·es sont des survivant·es de la guerre, de citoyen·nes homosexuel·les qui sont aujourd’hui libres de s’aimer au même titre que les hétérosexuel·les.
Les combats de Gisèle Halimi ont bouleversé les droits des femmes, des minorités sexuelles et de genre, et des citoyen·nes d’origine algérienne. Mais il ne faut pas oublier que ces victoires ont été remportées voilà quelques décennies seulement. Et qu’à l’heure actuelle, seules 10% des victimes de viol portent plainte, que 10% de ces plaintes aboutissent à une condamnation, portant à 1% le nombre de violeurs condamnés par la justice française ; que le droit à l’avortement reste régulièrement remis en question par de nombreux réfractaires à la liberté des femmes à disposer de leur propre corps, par la clause de conscience des médecins, ainsi que par les politiques de destruction de l’hôpital public (fermeture des centres qui pratiquent l’IVG) ; que le racisme, le néocolonialisme et toutes les LGBTphobies continuent de sévir et de tuer, car nos institutions restent profondément discriminantes et violentes envers les personnes minorisées.
Un mépris du gouvernement à l’égard des causes défendues
La pétition lancée par Louise Dubray sur change.org en août dernier en faveur de la panthéonisation de Gisèle Halimi a obtenu, à ce jour, près de 30 000 signatures. Toutefois, cette revendication des militant·es et des signataires reste lettre morte. Les obsèques de Gisèle Halimi ont eu lieu au cimetière du Père-Lachaise, sans aucune marque honorifique venant de l'État. L'actuel ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, n'a pas daigné faire acte de présence. Emmanuel Macron n'a rédigé qu'un simple tweet puis, plus d'un mois plus tard, a annoncé le projet d'un hommage national rendu aux Invalides − annonce restée sans suite à l'heure où nous écrivons ces lignes. Aucun drapeau n'a été mis en berne, aucune minute de silence n'a été observée.
«Ces chaises vides, ces absences, ces simples tweets, marquent un mépris à l'égard des causes défendues par Maître Halimi et donc aussi un mépris à l'égard des causes féministes, pourtant annoncées comme "grande cause du quinquennat"» écrit indignée Louise Dubray dans sa pétition.
En ne rendant pas un hommage digne de ce nom à Gisèle Halimi, et en ne répondant pas à l'appel des milliers de citoyen·nes pour sa panthéonisation, l'État français montre son mépris et son indifférence à l'égard de ces combats qui ont profondément changé notre société, et participé à la rendre plus juste. Alors que les mots «aux grands hommes, la patrie reconnaissante» s'imposent à l'entrée du Panthéon, nous, militant·es féministes, antiracistes, décolonial·es, LGBT+, demandons que cette reconnaissance s'étende à Gisèle Halimi, une femme dont l'engagement a permis à tant d'autres de (sur)vivre et de jouir de droits inaliénables dont ils et elles étaient jusqu'alors privé·es.
A la suite des dernières annonces du gouvernement, le rassemblement en nombre que nous souhaitions ne sera pas possible, il sera donc remplacé par un happening de dix personnes avec prises de parole et couverture presse, et une manifestation alternative en ligne sera organisée toute la journée du 11 octobre sur les réseaux sociaux.
Le 11 octobre prochain, soyons nombreuses et nombreux à demander l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon, en se rassemblant devant le monument !
Pour signer et relayer la pétition en faveur de la panthéonisation de Gisèle Halimi: change.org/PantheonGiseleHalimi. Premièr·es signataires: Clémentine Autain, députée Ensemble Insoumis, Caroline Sakina Brac de la Perrière, directrice du Fonds pour les femmes en Méditerranée, association Les Chiennes de garde, Citoyenneté possible, association de lutte contre le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie, le sexisme et toutes discriminations, Alice Coffin, conseillère de Paris EELV et déléguée à l'égalité femmes-hommes du 12e arrondissement, Collages féminicides Paris, Annick Coupé, secrétaire générale d'Attac, Christine Delphy, féministe et sociologue, Confédération générale du travail, Louise Dubray, psychologue clinicienne, Les effronté-es, association féministe et LGBT+, Le Fonds pour les femmes en Méditerranée, Les Grenades, Murielle Guilbert, secrétaire nationale de l'Union syndicale solidaires, Marie-Hélène Lahaye, juriste, autrice du blog Marie accouche là, Mathilde Larrère, historienne, et militante féministe, Le Lesbotruck+, association de visibilité lesbienne et organisatrice du seul char lesbien de la Marche des fiertés LGBTQI+, Christiane Marty, membre d'Attac et de la Fondation Copernic, Florence Montreynaud, historienne, le réseau «Encore féministes !», le collectif Ni Una Menos, colleur·euses, militant·es féministes, Nicolas Noguier, président de la Fondation Le Refuge, Danièle Obono, députée La France Insoumise de Paris, Osez le féminisme!, #PasTaPotiche, compte twitter pour une revalorisation du métier d'hôtesse, Lorraine Questiaux, avocate, militante féministe, Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris EELV, Sandrine Rousseau, fondatrice de l'association Parler, Jill Royer, militante féministe, France Insoumise, Muriel Salmona, psychiatre présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie, Danielle Simonnet, conseillère de Paris, France Insoumise, Aurélie Trouvé, porte-parole d'Attac, Céline Verzeletti, militante féministe et syndicaliste CGT.
Vous souhaitez proposer une tribune à Libé ? Ecrivez à idees@liberation.fr