«Dur avec les faibles, faible avec les forts», tel pourrait être la devise de l’Union. Dans la nuit de jeudi 1er octobre à vendredi 2 octobre, elle n’a pas hésité à sanctionner un régime biélorusse dépourvu de moyens de pression sur elle, mais elle a épargné la Turquie qui, elle, dispose des armes de dissuasion nécessaires : des moyens militaires solides et surtout des millions de réfugiés qu’elle menace d’envoyer en Europe… Bref, les Etats européens ne sortent pas grandis de ce sommet pourtant censé affirmer la puissance géopolitique de l’Union.
L’essentiel de ce Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement a porté sur l’attitude belliqueuse d’Ankara qui multiplie depuis plus d’un an les provocations en Méditerranée orientale en procédant à des explorations gazières sous protection militaire dans la zone économique exclusive (ZEE) chypriote. Une agression directe et sans précédent contre un Etat membre de l’Union qui aurait dû susciter une forte solidarité européenne.
Nouvelle vague
Mais, en dehors de la Grèce, de la France et, dans une moindre mesure de l'Italie, qui ont dépêché des moyens militaires dans la région, cette solidarité n'est que verbale, alors même que l'attitude de la Turquie dans la région est de plus en plus belliqueuse (Syrie, Libye, etc.). Berlin, en particulier, tout à la fois parce qu'elle répugne à l'emploi de la force et parce qu'elle craint plus que tout une nouvelle vague de migrants équivalente à celle de 2015, refuse d'entrer dans une logique de sanctions contre le régime de Recep Tayyip Erdogan, le président turc. «L'Union a beaucoup d'intérêts à développer une relation réellement constructive avec la Turquie, malgré toutes les difficultés», a ainsi fait valoir la chancelière allemande à son arrivée à Bruxelles.
C'est cette attitude d'une bonne partie des Etats membres qui a conduit Athènes et Nicosie à bloquer les sanctions contre le régime biélorusse, un dossier cher au cœur de la chancelière allemande, mais aussi à celui des pays d'Europe de l'Est. «La discussion a été longue et difficile», a reconnu Angela Merkel à l'issue du sommet, puisqu'il a fallu sept heures de débat «passionné» pour parvenir à rassurer la Grèce et Chypre. «Certains Etats sont très réticents quand il s'agit de tracer des lignes rouges pour la Turquie, c'est pourquoi les discussions ont pris aussi longtemps», a raconté le chancelier autrichien Sebastian Kurz, en précisant qu'il «ne pensait pas seulement à l'Allemagne».
Carotte et bâton
Au final, si les Européens affirment leur solidarité avec Chypre et la Grèce, Erdogan échappe aux sanctions qui étaient pourtant déjà prêtes. Ils préfèrent jouer de la carotte que du bâton en promettant à la Turquie une amélioration de l’Union douanière qui la lie à l’UE ainsi que des moyens financiers supplémentaires pour gérer les camps de réfugiés (déjà 6 milliards d’euros versés depuis 2016) en échange de l’arrêt des forages illégaux. C’est seulement si elle n’obtempère pas que des sanctions seraient éventuellement décidées en décembre prochain.
«Nous voulons maintenant susciter un agenda constructif avec la Turquie», vu «l'importance [de nos] relations stratégiques», a expliqué Angela Merkel, à l'issue du sommet, mais «à condition que les efforts progressent pour réduire les tensions comme en témoignent certains actes accomplis ces dernières semaines».
Chaud et froid
Elle faisait notamment référence à l'accord trouvé jeudi à l'Otan entre la Grèce et la Turquie sur un mécanisme pour éviter les conflits et au fait qu'Erdogan se soit dit déterminé «à maintenir les voies du dialogue ouvertes». La Turquie est habituée à souffler le chaud et le froid afin d'obtenir le maximum de ses voisins européens. La faiblesse de la réaction de l'Union montre qu'elle a encore bien joué…
Foin de ces subtilités avec Minsk. «Nous avons décidé la mise en œuvre de sanctions contre les responsables de la répression en Biélorussie», a proclamé martialement le président du Conseil européen, Charles Michel. Effectives dès ce matin, elles visent une quarantaine de personnes impliquées dans la répression qui sont interdites de voyage dans l'Union, ce qui en période de pandémie est de toute façon compromis, et qui voient leurs avoirs gelés. Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, n'est pas dans la liste afin de laisser la voie du dialogue ouverte. Mais «si ça se durcit, on ne s'interdit pas de mettre Loukachenko sous sanctions», a prévenu Emmanuel Macron.