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Blog «Ma lumière rouge»

Départ de Marlène Schiappa de l'égalité femmes-hommes: un bilan sévère

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Trois années perdues pour les travailleurSEs du sexe
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publié le 11 octobre 2020 à 21h54
(mis à jour le 11 octobre 2020 à 22h02)

Depuis la publication du rapport d'évaluation de la loi 2016 au début de l'été, nous avons eu droit à un remaniement ministériel. L'été est passé, et aucune leçon n'est tirée de l'échec des politiques actuelles en matière de travail sexuel. Profitons en pour faire un bilan du passage de Marlène Schiappa au secrétariat à l'égalité entre les femmes et les hommes concernant ce sujet.

En juin 2017, certaines travailleurSEs du sexe ont pu penser qu’enfin pour la première fois, une ministre aux droits des femmes allait les prendre en considération. Marlène Schiappa s’était illustrée pour avoir écrit des romans érotiques, s’était présentée comme «féministe pro-sexe», et a même prétendu dans une interview pour Konbini en février 2018: «s’il y a bien quelqu’un qui n’est pas contre les travailleuses du sexe, de façon générale, c’est vraiment moi. C’est un milieu que je connais un petit peu en l’occurrence».

Pourtant dès l'été 2017, son cabinet par la voix de Thomas Brisson, nous informait qu'aucun changement législatif n'était à attendre et que la loi continuerait à être appliquée tant qu'aucune évaluation gouvernementale ne serait faite. Le 12 septembre 2017, une délégation de travailleuses du sexe rencontrait sa directrice de cabinet Catherine Petit qui affirmait alors que «Le but de la loi n'est pas d'améliorer les conditions de vie des personnes en situation de prostitution, mais de les inciter à s'engager dans un parcours de sortie»

Nommée pour la première fois, et héritant d’une administration organisée avant elle par Laurence Rossignol, on pouvait encore croire qu’il fallait du temps à la nouvelle secrétaire d’état pour réorganiser son équipe. Or, la démission de Catherine Petit et son remplacement n’améliora en rien sa politique.

Le samedi 7 avril 2018, elle fut interpelée à l’occasion du Printemps des Assos LGBT à Paris sur la sortie du rapport d’évaluation de la loi, initialement prévu pour être publié en avril 2018. Elle assura que l’évaluation était bien en cours et que malgré son retard elle serait publiée en octobre 2018. Or, il n’y eut aucune publication.

A la place, les 13 et 14 septembre, Madame Schiappa organisait des «journées d'été du féminisme» sans jamais considérer à aucun moment l'opportunité d'inviter les organisations de travailleuses du sexe ou leurs représentantes. Seule la productrice Ovidie a été approchée pour un débat sur la «prostitution», mais celle-ci a décliné l'invitation à débattre sans les personnes concernées, précisant qu'elle pouvait en revanche parler de «travail sexuel», ce qui incluait aussi la pornographie. On lui aurait répondu qu'il était impossible d'inviter des TDS et que le terme de « travail sexuel » était proscrit durant les universités d'été par peur des réactions des prohibitionnistes. Les prohibitionnistes ont donc pu comme d'habitude parler des travailleuses du sexe en leur absence.

Pendant l'été, dans la nuit du 16 au 17 aout 2018, Vanesa Campos était assassinée au bois de Boulogne. Une forte mobilisation de la communauté des travailleuses du sexe poussa l'ensemble des médias à couvrir sa mort, tandis que le gouvernement restait muet. Il a fallu plus d'une semaine à Marlène Schiappa pour réagir par une brève sur son site internet. Elle annonçait un rendez vous avec la MIPROF et la DILCRAH qui évidemment n'ont servi à rien d'autre qu'à balader les associations.

Fin 2018, Mylène Juste, la secrétaire générale du STRASS tenta à plusieurs reprises d’inviter Marlène Schiappa à participer aux événements autour de la journée mondiale contre les violences faites aux travailleuses du sexe qui a lieu chaque année le 17 décembre. Elle ne reçut aucune réponse si ce n’est que madame Schiappa avait «un emploi du temps très chargé». Tout cela pour apprendre ledit jour du 17 décembre qu’elle recevait finalement le Mouvement du Nid, association catholique anti-prostitution, lors de cette journée détournée de son sens initial pour parler de «sortie de la prostitution».

Début 2019, le débat reprit sur la pénalisation des clients avec la Question Prioritaire de Constitutionnalité portée par plusieurs travailleurSEs du sexe. Non seulement le gouvernement défendit la loi devant le Conseil Constitutionnel, mais le secrétariat de Marlène Schiappa décida de doubler les subventions du Mouvement du Nid.

Son cabinet diffusa un appel d’offre pour subventionner des actions de prévention de la traite des êtres humains énonçant explicitement que seules les organisations qui étaient en accord avec la loi pourraient être sélectionnées. Les agréments pour les associations souhaitant accompagner les parcours de sortie ont été conditionnés au fait d’avoir pour objet la «sortie de la prostitution» ce qui exclut évidemment les associations de travailleuses du sexe.

Le 8 mars, le gouvernement publiait un communiqué commun avec le gouvernement suédois pour combattre toute « normalisation de la prostitution » ainsi que les personnes qui parleraient de « travail du sexe ». On comprend donc que cela vise les travailleurSEs du sexe eux-elles-mêmes, puisque cette terminologie vient des personnes concernées elles-mêmes.

En avril, monsieur Brisson annonçait que le rapport d’évaluation de la loi serait publié au courant de l’été et qu’il avait été retardé par la QPC. Ce ne fut toujours pas le cas.

De septembre 2019 à février 2020 une dizaine de travailleuses du sexe ont été assassinées sans qu'il n'y ait aucune réaction de la part de Marlène Schiappa, ni du gouvernement.

Après une question du député LREM Raphael Gérard concernant les propos transphobes publiés sur le site du Mouvement du Nid, le gouvernement refusa de répondre sur le fond. Du côté du secrétariat d'état à l'égalité, l'embarras fut perceptible puisqu'aucune réponse ne fut communiquée, malgré les grandes déclarations de Schiappa sur l'égalité et la laïcité.

En préparation de la conférence Beijing+25, le secrétariat d’état continua d’exclure les organisations de travailleuses du sexe jamais invitées à participer, bien que le sujet du travail sexuel soit régulièrement abordé.

Lors de la crise COVID-19, en période de confinement, les organisations de travailleuses du sexe ont demandé l’aide du gouvernement avec la création d’un fonds d’urgence en puisant par exemple dans les crédits pour le «parcours de sortie» notoirement sous dépensés, par manque de bénéficiaires. Ceci généra une fin de non recevoir de la part de Madame Schiappa expliquant qu’il était «très compliqué» d’indemniser les travailleuses du sexe.

On apprendra finalement dans un rapport parlementaire rédigé par les sénateurs Arnaud Bazin et Eric Bocquet que Marlène Schiappa a détourné les fonds dédiés à l'accompagnement social des travailleuses du sexe pour financer des dispositifs de lutte contre les violences conjugales tels que le fonds Catherine.

Pendant ces trois années, il n’y a rien de positif ou de constructif à retenir concernant les conditions de vie des travailleurSEs du sexe. Le rapport d’évaluation de la loi finira par être publié discrètement sur le site du ministère de la justice en juin 2020 à la suite d’une saisine de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) par une journaliste.

Marlène Schiappa aura fait beaucoup de communication mais n’aura servi à rien.