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Blog «Géographies en mouvement»

Vanités architecturales italiennes

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Le temps ronge l’espace. Dans le splendide «Veduta» de Thomas Jorion, le monde brillant des riches Italiens de la post-Renaissance est saisi dans un état de décomposition tragique et sublime. Une méditation qui renvoie les humains à leurs questions métaphysiques.
Sfuriata, Toscane, 2019 (Photo T. Jorion) (Thomas Jorion)
publié le 29 octobre 2020 à 22h05
(mis à jour le 30 octobre 2020 à 9h32)

Allergiques au pouvoir ? Indifférents aux ors qui fascinent les princes ? Détachés de ces «hochets qui mènent les hommes» comme l'affirme Napoléon père de la Légion d'honneur ? Vous allez déguster ces Veduta italiennes. Ce sont des «ruines immortelles» (Proust). Elles incarnaient le goût du sublime d'un XVIIIe siècle héritier des paysagistes hollandais.

John Ruskin avait beau jeu de penser les ruines comme «des phases physiologiques de la vie des monuments» en ayant «tort d'en faire le motif d'une attitude romantique pleine de regrets». Pour lui, c'est le destin souvent inévitable auquel il serait vain de vouloir opposer des restaurations inopportunes. Ici, donc, pas de sublime. Mais pour Giovanni Fanelli, le préfacier, «plutôt une incitation à aimer les choses des XVIIIe et XIXe siècles».

Ligurie, 2019

L'œil du photographe Thomas Jorion ne fait pas de tri entre architecture grandiose et architecture pauvre. Il veut atteindre le fantasmagorique, en incrustant souvent le paysage. Une vision sensible, raffinée « résultant de la conjugaison d'une extrême réceptivité et d'une mise à distance calculée ». Les humains y sont absents et le silence s'y «compose de lumière et d'ombre, de larges espaces séparés par une frontière nette qui se déplace lentement au fil des heures, qui tantôt atténue et tantôt souligne le contraste, ou bien qui s'estompe dans une pénombre ou un clair-obscur plus ou moins uniforme» (Italo Calvino).

Pour apprécier ces ruines, on peut juger de l’écart entre l’orgueil de l’œuvre d’art et ce qu’il en reste aujourd’hui.

L’Ecclésiaste

(

III

e

siècle av. J.-C.)

est connu pour son avertissement solennel :

Vanitas vanitatum, et omnia vanitas

, Vanité des vanités, et tout est vanité. «

J’ai élevé des ouvrages magnifiques, j’ai bâti des maisons et j’ai planté des vignes. J’ai possédé des serviteurs et une nombreuse famille, et de grands troupeaux de bœufs et de brebis. J’ai entassé l’argent et l’or, le revenu des rois et des provinces ; j’ai eu des musiciens et des musiciennes... En tout cela je n’ai vu que vanité, affliction d’esprit ; rien de stable sous le soleil.

»

Serpentino, Lombardie, 2019

En effet, rien de stable sous le soleil d’Italie où les milliers de palais, de fermes, de châteaux en ruine témoignent de ces caprices humains, d’échelle locale qui transmettent par l’œil de Thomas Jorion le plaisir d’un monde qui ne fait que passer.

Vedetta, Ligurie, 2018

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PS. Le photographe travaille en lumière naturelle, à l'aide d'une chambre grand format 4X5, sans retouche ni mise en scène Il a publié SilenceSilence (2013) et Vestiges d'empire (2016) aux éditions de La Martinière.

Veduta, Thomas Jorion, 228 p. 49 euros