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Blog «Humeurs noires»

Amadeus La Dentelle, lettre insolente à ma mère 2/2

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L'auteur nous plonge dans les relations symboliques, équivoques et passionnelles par leur intensité qui l'unissent à sa mère. Lettre ouverte et transgressive. Un tout premier jet littéraire qui ouvre les fenêtres de son enfance, comme pour aérer l'air de sa maison familiale.
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publié le 30 octobre 2020 à 1h16
(mis à jour le 30 octobre 2020 à 1h58)

Tribune par Amadeus La Dentelle

'' Tu sais… dans la vie d'artiste… même en bas de l'échelle au fond à gauche comme moi.. Tu peux être amené à répondre à des interviews.. Pour des magazines, des canards ou autres…

.. Et Il y a toujours cette question qui revient.. '' alors.. dites moi.. votre premier texte.. votre première chanson.. c'était à quel âge ? ''

Inévitablement quand on me demande ça.. je réponds toujours la même chose… du style.. '' donc tout à commencé vers l'âge de douze ou treize ans.. J'étais révolté.. J'avais des choses à dire.. Et un soir dans ma chambre.. Blablabla… ''

Bon c'est une réponse classique.. que tu peux retrouver sur mille interviews du genre.. Mais…. J'ai jamais répondu la vérité..

.. Ça n'est pas complètement faux au demeurant puisque mes premiers textes de rap .. c'était à cette époque..

.. Mais en réalité.. Le premier '' essaie littéraire '' auquel je me suis donné.. adonné même.. c'était une lettre… et j'avais 10 ans.. Une belle lettre..

Une lettre de suicide... adressée à ma chère mère..

Je vais pas te mentir.. Je ne me rappelle plus du contenu exact .. Mais j'ai une mémoire photographique assez prenante.. et je la revois cette lettre… Je la revois froissée même.. l'encre était coagulée.. des pattes de mouches bleues s'étaient écrasées sur la feuille format A4 arrachée d'un de mes classeurs de 6 ème..

Et elle était insolente cette lettre.. Rien que de part sa forme.. Son aspect..

Son aspect froissé justement lui donnait un air de '' j'y vais, j'y vais pas…oh et puis rien à foutre ''..

Le gosse que j'étais hésitait à assumer son envie.. Enfin.. Son manque d'envies plutôt..

Mais elle a bel et bien fini entre les mains tremblantes de ma mère cette lettre..

J'ai dû la laisser traîner… Et elle est tombé dessus.. Par un malheureux hasard..

C'était un dimanche soir.. Week-end purgatoire..

Je ne sais pas ce qu'elle faisait sur son lit cette foutue lettre..

Moi j'étais dans une autre pièce.. Et j'ai compris que ma mère l'avait lue quand j'ai entendu le bruit de ses entrailles qui se déchiraient.. Une remontée d'organes, jusqu'au cœur !

La fratrie s'est dirigée en sa direction.. Au pas de course... Et moi.. Je traînais des pieds.. Je savais.. penaud…

Il y avait un escalier à monter...mes jambes lourdes et ma boussole qui indiquait le sud ne m'ont pas aidé... mais encore une fois.. pas le choix.. Je ne pouvais pas faire comme celui qui s'en foutait.. D'entendre sa mère hurler de douleur.. Parce qu'elle hurlait.. Elle pleurait.. Ses yeux et son âme perdaient les eaux.. Une deuxième fois..

Je n'avais pas le culot de venir faire celui qui venait s'inquiéter de son sort.. Mais j'y allais.. Pour constater les dégâts… Et c'était pas beau à voir.. Le ciel lui tombait sur la tête..

...son petit dernier.. qui voulait se foutre en l'air.. Et qui demandait la permission..!?

.. Du grand n'importe quoi.. Les conneries ça se fait en cachette.. Mais ça je l'ai compris plus tard..

Naïveté criante ou appel à l'aide.. Aujourd'hui encore.. Je ne sais pas..

Toujours est-il que le mal était fait.. Et ça ne m'avait soulagé en rien qu'elle le sache…

Elle était étendue sur son lit.. la lettre en parallèle de ses jambes . À demander au plafond.. ''.. Pourquoi.. Mais pourquoi ? ''.. Au plafond.. Pas à moi…

Je me rappelle avoir essayé de lui parler.. Mais impossible.. Elle était en boucle.. Autiste….

Quelqu'un a appelé le docteur… pour lui venir en aide.. Notre médecin de famille.. Qui nous connaissait bien..

Je me rappelle.. Je le revois assis au pied du lit de ma mère.. La porte était entrouverte.. Ils parlaient..

Et je redoutais qu'il viennent me voir à mon tour….

..moi j'étais dans la chambre de ma sœur.. Juste en face.. Dans un coin.. endolori…

Il entra.. Et je ne me rappelle pas qu'il m'ait demandé les raisons de cette lettre…mes motivations.. De toute façon je n'avais pas envie d'en parler… il n'aurait pas compris… le mal était invisible..

.. Je l'ai laissé me jauger.. me regarder… Et il en a déduit.. que je devais manger plus d 'haricots vert.. Et que je devais me mettre au sport.. Que ça me ferait du bien…'' p'tit bonhomme va ! ''..

Mon premier écrit avait fait de l’effet.. Alors j’ai continué.. c’est tout…