La deuxième vague de Covid-19, qui semblait possible et même probable au printemps et qui était déjà discernable en été, s’est maintenant installée dans toute l’Europe. La montée brutale des contaminations au cours des dernières semaines a conduit de nombreux pays à renforcer les mesures sanitaires : fermetures de certains lieux, interdiction de rassemblement, généralisation de l’obligation du port du masque… En France, cela se double d’un confinement un peu plus léger que celui du printemps dernier qui devrait toutefois entraîner une chute notable de l’activité. L’économie française entre dans une phase brutale de stop-and-go qui pourrait durer longtemps s’il devait y avoir une troisième ou même une quatrième vague et dont les conséquences économiques devraient s’aggraver à mesure que chaque nouveau confinement affecterait des agents économiques fragilisés par le confinement précédent.
Le recours précipité à des mesures sanitaires extrêmes illustre à la fois la gravité de la pandémie et l'absence de vision de long terme des autorités françaises («nous avons tous été surpris», déclarait Emmanuel Macron dans un aveu qui tentait de partager le plus largement possible les responsabilités). Les revirements du printemps (sortez et allez au théâtre, restez confinés chez vous sous peine d'amende ; ne portez pas de masque, c'est inutile, portez un masque c'est obligatoire) ont fait place à celles de l'automne (retournez sur les lieux de travail, le télétravail est obligatoire partout où c'est possible ; les cours doivent se tenir en présence, les cours sont obligatoirement à distance).
Cette indécision des autorités est en partie la conséquence des exigences contradictoires exprimées par les différents groupes sociaux. Les firmes privées ont fait pression pour que le retour à la «normale» se fasse le plus rapidement et le plus complètement possible après le premier confinement. Cédant à ces pressions, le pouvoir n’a pris en compte les avertissements venant du monde médical que lorsque la situation est devenue grave. En France, comme dans d’autres pays, les autorités ne réagissent que si le signal d’alarme retentit dans les services de réanimation, c’est-à-dire quand c’est un peu trop tard.
Toutes ces hésitations et volte-face renforcent une incertitude déjà élevée ne serait-ce qu’en raison de l’étendue de ce qu’on ignore au sujet du Covid-19. Cette indécision rend les prévisions des firmes et des consommateurs extrêmement difficiles. Cela ne favorise pas la reprise de la consommation ou des investissements, ce qui à son tour rend la relance de l’activité encore plus difficile et fait que les autorités sont d’autant plus sensibles aux demandes de levée des mesures sanitaires en provenance de «l’économie», jusqu’à la prochaine alerte sanitaire.
Il y a deux attitudes différentes face à la pandémie, qui renvoient à deux grands types d’attentes sociales. D’un côté, la volonté quasi-libertarienne de ne pas imposer la moindre mesure contraignante ou, croit-on, susceptible de nuire à l’activité économique. Elle réunit aussi bien une partie du monde des affaires que les opposants au port du masque. On entend alors des justifications qui vont du relativement bénin (il faut une économie forte pour faire face au virus) au plus sinistre (sauver des vies coûte trop cher, le virus ne tue que ceux qui de toute façon doivent mourir).
D’un autre côté, on trouve la demande d’une plus grande maîtrise de la trajectoire prise par l’économie et la société, avec l’idée que la pandémie met en évidence les impasses du capitalisme contemporain incapable de faire face aux menaces environnementales ou sanitaires. Les attentes s’expriment alors en direction d’un changement des priorités pour une puissance publique voulue nettement plus interventionniste. Les actions envisagées vont du relativement modeste (stopper le démantèlement en cours des systèmes de protection sociale et renforcer l’hôpital public) au plus ambitieux (pour une planification écologique et sociale).
L’option qui en revanche semble dépassée est celle d’une voie moyenne, celle d’un Etat qui agit indirectement, par incitations auprès des agents privés, au moyen de politiques publiques dont le coût fiscal est toujours plus élevé et l’efficacité toujours plus dérisoire à mesure que progressent les «réformes structurelles». Cela pourrait paradoxalement signaler la fin du néolibéralisme, qui était précisément conçu à l’origine comme une troisième voie entre le laisser-faire et la planification. L’heure n’est plus à un Etat qui définit son action en fonction des exigences du marché.
Cette chronique est assurée en alternance par Ioana Marinescu, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard