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Budget européen : «Les blocages viennent des Etats qui refusent de négocier avec le Parlement»

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Les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, c’est-à-dire le budget de l’Union, entre les Vingt-Sept et le Parlement européen sont bloquées. Réuni à Bruxelles les 15 et 16 octobre, le Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernement a refusé de l’augmenter comme le demande le seul organe de l’Union élu au suffrage universel. Entretien avec la députée européenne LREM Valérie Hayer (membre du groupe politique Renew), 34 ans, l’une des rapporteures sur les questions bud
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publié le 4 novembre 2020 à 19h16
(mis à jour le 4 novembre 2020 à 19h16)

Les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027, c’est-à-dire le budget de l’Union, entre les Vingt-Sept et le Parlement européen sont bloquées. Réuni à Bruxelles les 15 et 16 octobre, le Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernement a refusé de l’augmenter comme le demande le seul organe de l’Union élu au suffrage universel. Entretien avec la députée européenne LREM Valérie Hayer (membre du groupe politique Renew), 34 ans, l’une des rapporteures sur les questions budgétaires, qui se montre très critique de l’attitude des Etats membres.

Le message des gouvernements est clair : le CFP qu’ils ont négocié en juillet est à prendre ou à laisser !

L’Allemagne, qui exerce la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres de l’Union, ne nous avait pas laissé beaucoup d’espoir. Après sept séances de négociations, elle nous a seulement proposé une augmentation de 9 milliards d’euros du cadre financier pluriannuel sur une enveloppe totale de 1 074 milliards d’euros ! Or, le Parlement demande 39 milliards d’euros de plus sur la période afin de renforcer 15 programmes communautaires comme Erasmus, la recherche, la défense ou encore la santé, qui ont été sacrifiés par les Etats en comparaison de l’ambition initiale de la Commission. Mais les négociations ne sont pas terminées ! Nous allons adapter nos demandes : il y a des moyens de renforcer le budget, notamment en recourant aux flexibilités entre les catégories de dépenses ou en affectant le produit des amendes sanctionnant les pratiques anticoncurrentielles au budget alors qu’aujourd’hui elles servent à diminuer le montant des contributions nationales, ce qui est un non-sens.

Parmi les exigences du Parlement, il y a la création de nouvelles «ressources propres», c’est-à-dire d’impôts européens qui permettraient d’abonder le budget sans passer tous les sept ans par un accord unanime des Etats membres.

Effectivement, le Parlement a averti dès 2018 qu’il ne donnerait pas son accord à un nouveau CFP sans nouvelles ressources propres. C’est la mère de toutes les batailles puisque ces ressources appartiendront en propre à l’Union. Elles permettront aussi soit de poursuivre un objectif environnemental, comme la contribution sur les plastiques non recyclables que les Vingt-Sept ont décidé de créer lors de leur sommet de juillet ou le prélèvement carbone sur les entreprises non européennes qui ne respectent pas nos normes, soit de faire payer ceux qui ne paient pas leur juste part d’impôt, notamment en taxant les grands acteurs du numérique, les institutions financières, etc.

Ces nouveaux impôts européens sont d’autant plus nécessaires qu’il faudra rembourser les 390 milliards d’euros du fonds de relance qui vont être empruntés sur les marchés avant d’être redistribués aux Etats. Si on ne les crée pas, il faudra à terme soit augmenter les contributions nationales, c’est-à-dire les impôts des citoyens et des entreprises européens, soit couper dans le budget communautaire, deux options inacceptables… Certes, en juillet, il y a eu un accord politique entre les Vingt-Sept pour les créer à terme. Mais nous voulons un engagement juridiquement contraignant. On a bien avancé sur ce point avec la présidence allemande qui est d’accord pour que les Vingt-Sept s’engagent sur un calendrier précis.

En revanche, cela coince sur le lien que vous voulez établir entre le versement des fonds européens et le respect de l’Etat de droit.

L’Europe ne peut plus rester sans réagir aux atteintes à la liberté de la presse, à l’indépendance de la justice ou aux droits des LGTB+, sinon nous nous rendrons complices de ces régressions de l’Etat de droit. Déjà, sans les menaces du Parlement de tout bloquer, on n’aurait pas obtenu une proposition des Etats membres sur ce sujet clé, même si elle reste très insuffisante : son champ est restreint à la corruption et elle prévoit qu’il faut une majorité qualifiée en faveur d’une suspension des versements alors que la Commission proposait une majorité qualifiée inversée, c’est-à-dire une majorité qui s’opposerait à l’arrêt des versements. Nous voulons l’améliorer.

Les Etats accusent le Parlement de bloquer la mise en œuvre du plan de relance et du cadre financier pluriannuel en pleine crise du coronavirus…

Il est incroyable qu’on nous accuse du retard pris, alors que les blocages viennent des Etats qui refusent de négocier avec nous ! Nous avons le pouvoir de bloquer le CFP, c’est dans les traités européens, ce qui veut dire que le Parlement est dans son rôle en demandant des améliorations. Et il ne faudrait pas oublier que, pour l’instant, ce sont les Etats qui se menacent mutuellement d’un véto : la Hongrie et la Pologne menacent de bloquer le fonds de relance si le mécanisme sur l’Etat de droit est trop contraignant alors que les pays du nord de l’Europe menacent de le bloquer s’il est trop faible. Et d’autres refusent de ratifier le fonds de relance tant que la négociation sur le CFP avec le Parlement n’est pas terminée…

Le Parlement est-il un acteur crédible de la négociation budgétaire ? Car, tous les sept ans, il menace de tout bloquer avant de capituler…

Le Parlement, qui est moins tenu par les logiques nationales, est l’institution la plus ambitieuse pour l’Union : il est donc normal qu’il montre ses muscles. Son rôle est de créer une dynamique et de faire bouger les lignes. Je ne dirais pas qu’il se couche ou qu’il se discrédite en acceptant des compromis, car à chaque fois il obtient des améliorations, même si elles sont moins ambitieuses que celles qu’il souhaitait. Mais c’est la même chose pour les Etats membres. Regardez les Pays-Bas qui, au départ, ne voulaient pas du fonds de relance, puis l’ont accepté à condition que ce ne soit que des prêts accordés aux Etats avant de finalement concéder 390 milliards d’euros de subventions sur les 450 milliards que proposait initialement la Commission. Faire des concessions, c’est la nature même d’une négociation.

A partir du moment où les chefs d’Etat et de gouvernement se mettent difficilement d’accord à l’unanimité, la marge de manœuvre du Parlement est pour le moins étroite… Comme l’a dit Emmanuel Macron le 16 octobre, les Vingt-Sept ont besoin rapidement du fonds de relance et il faut conclure vite.

Je ne suis pas partisane de la crise pour la crise. Mais juridiquement, s’il n’y a pas d’accord sur le CFP, nous aurons un budget provisoire pour 2021 : simplement, il se fera sur la base du budget 2020, ce qui n’est pas une catastrophe puisque les plafonds seront supérieurs de 10 milliards d’euros à ceux qui ont été prévus par l’accord du mois de juillet. Et le fonds de relance, qui n’a pas besoin de l’accord du Parlement européen, peut aussi être lancé si les Etats membres le ratifient. Donc, je suis tout à fait sereine : le blocage ne sera pas de notre fait.

Est-il imaginable qu’un jour le Parlement européen soit à la table de négociation avec les Etats membres ?

Bien sûr ! La conférence sur l’avenir de l’Europe qui doit se réunir l’année prochaine doit remettre à plat les traités européens et sera l’occasion de rebattre les cartes.

N.B.: article publié le 22 octobre