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Blog «Coulisses de Bruxelles»

"Pas d'Etat de droit, pas d'euros"

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Les États membres de l’Union qui ne respectent pas l’État de droit risquent de se voir privés de tout ou partie des subventions européennes. Jeudi, le Parlement de Strasbourg est parvenu à arracher à l’Allemagne, qui exerce la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres (l’organe où siègent les États), un très net durcissement du projet de règlement instituant, pour la première fois, cette conditionnalité au versement de l’argent versé tant par le budget communautaire (1074 millia
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publié le 15 novembre 2020 à 18h39

Les États membres de l’Union qui ne respectent pas l’État de droit risquent de se voir privés de tout ou partie des subventions européennes. Jeudi, le Parlement de Strasbourg est parvenu à arracher à l’Allemagne, qui exerce la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres (l’organe où siègent les États), un très net durcissement du projet de règlement instituant, pour la première fois, cette conditionnalité au versement de l’argent versé tant par le budget communautaire (1074 milliards d’euros pour la période 2021-2027) que par le fonds de relance (750 milliards d’euros).

«Zéro euro»

«C’est simple : pas d’État de droit, zéro euro» avait lancé Emmanuel Macron aux pays d’Europe de l’Est lors de la négociation de ce paquet budgétaire en juillet dernier. Mais devant les menaces de blocage de Budapest et de Varsovie, la présidence allemande a dû édulcorer le texte proposé par la Commission en 2018 en le limitant aux risques de corruption pesant sur l’utilisation des fonds communautaires. Insuffisant pour le Parlement qui a finalement obtenu gain de cause en menaçant les Vingt-sept de ne pas donner son accord au cadre financier pluriannuel (CFP 2021-2027). Certes, le projet de règlement est toujours limité à la protection des intérêts financiers de l’Union et non à celle des valeurs européennes en général.

En clair, un pays qui interdirait l’avortement ou l’égalité hommes femmes, par exemple, ne serait pas concerné puisqu’il faut que la violation de l’État de droit ait une incidence sur la bonne utilisation de l’argent européen. Ce serait, par exemple, le cas de pays qui violent le principe de séparation des pouvoirs ou l’indépendance du pouvoir judiciaire, empêchent par tous les moyens le bon déroulement des enquêtes, n’exécutent pas les jugements ou encore ne sanctionnent pas la corruption. La suspension des fonds devra être décidée par le Conseil des ministres sur proposition de la Commission à la majorité qualifiée, soit 55% des États (15 sur 27) pesant 65 % de la population, ce qui enlèvera tout pouvoir de blocage à une coalition formée par les seuls pays d’Europe de l’Est…

«Veto ou la mort»

Mais rien n’est encore gagné : même si ce projet peut être adopté à la majorité qualifiée, les pays qui sont dans le viseur des eurodéputés, la Pologne et la Hongrie en particulier, ont menacé, si ce texte n’était pas retiré, de poser leur véto à une autre partie de cet ensemble budgétaire, les nouvelles ressources propres ou impôts européens qui doivent, elles, être adoptées à l’unanimité. Dans ce cas, c’est l’ensemble du paquet budgétaire négocié en juillet dernier qui serait bloqué. Et le ton n’est pas à la conciliation, c’est le moins que l’on puisse dire : «VETO ou la mort : c’est le mot d’ordre symbole de défense de la souveraineté polonaise face aux ambitions non démocratiques et idéologiques des eurocrates» a ainsi tweeté le vice-ministre polonais Janusz Kowalski. Reste qu’un blocage complet coûterait cher aux pays d’Europe de l’Est : certes, le budget provisoire 2021 qui pallierait le blocage du CFP leur garantirait de recevoir les subventions habituelles (14 milliards pour la Pologne, 5 milliards pour la Hongrie), mais ils ne percevraient pas les fonds du plan de relance (23 milliards pour Varsovie et 6 milliards pour Budapest).

Le reste de la négociation budgétaire devrait être bouclé ce lundi ou ce mardi : le Parlement européen devrait obtenir entre 12 et 15 milliards supplémentaires pour le budget européen (il en demandait 39) et surtout un calendrier précis pour la création de nouvelles ressources propres (taxe carbone aux frontières, taxes Gafam, etc.) afin que le financement de l’Union dépende moins des contributions nationales qui donnent lieu à des chamailleries sans fin. Mais la saga budgétaire devrait jouer les prolongations jusqu’à la fin de l’année voire au-delà si la Pologne et la Hongrie mettent leurs menaces à exécution.

N.B.: article paru le 9 novembre