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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Vaccin anti-covid: l'Union européenne remplit sa pharmacie

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Dans un laboratoire de Sanofi, dédié à la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, à Val-de-Reuil. Photo Joël Saget. AFPAprès un sérieux retard à l’allumage lorsque le Covid-19 s’est abattu sur le Vieux Continent en début d’année, l’Union européenne est désormais en ordre de bataille face à la pandémie. Symboles de cet activisme sanitaire, les contrats conclus par la Commission européenne avec quatre laboratoires pharmaceutiques pour sécuriser l’accès des Européens au futur vaccin. Le dernier e
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publié le 17 novembre 2020 à 19h34
(mis à jour le 17 novembre 2020 à 19h34)
Dans un laboratoire de Sanofi, dédié à la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, à Val-de-Reuil.
Photo Joël Saget. AFP

Après un sérieux retard à l’allumage lorsque le Covid-19 s’est abattu sur le Vieux Continent en début d’année, l’Union européenne est désormais en ordre de bataille face à la pandémie. Symboles de cet activisme sanitaire, les contrats conclus par la Commission européenne avec quatre laboratoires pharmaceutiques pour sécuriser l’accès des Européens au futur vaccin. Le dernier en date a été signé mercredi avec l’américain Pfizer et l’allemande BioNTech, qui ont annoncé lundi avoir mis au point un vaccin «efficace à 90%». «D’autres contrats viendront, car nous devons disposer d’un large portefeuille de vaccins basés sur différentes technologies», a affirmé Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. Reste que les clauses de ces contrats, tenues secrètes, inquiètent le Parlement européen qui craint que la «big pharma», surfant sur la panique, ne fasse main basse sur l’argent public.

«Tout en même temps»

C’est la première fois dans l’histoire que les Etats membres confient à l’UE le soin de négocier leur approvisionnement en médicaments : jusque-là, ils considéraient que ces produits stratégiques relevaient de leur seule souveraineté. C’est Donald Trump qui a réveillé les Européens quand, à la mi-mars, la presse allemande a révélé que le président américain avait tenté d’acheter pour son pays l’exclusivité du vaccin que prépare le laboratoire de biotechnologie allemand CureVac. Les Vingt-Sept ont alors compris qu’isolés, ils n’avaient aucune chance de peser face aux Etats-Unis ou à la Chine. Ils ont donc demandé à la Commission de préparer une stratégie commune pour se fournir en vaccins. Dans une «communication» datée du 17 juin, la Commission propose de négocier des contrats d’approvisionnement directement avec les laboratoires pharmaceutiques. «Le fait que ce soit l’Union qui négocie nous permet d’être attractifs, de faire des économies d’échelle et d’être plus forts face à ces sociétés», souligne un porte-parole. En échange de cette garantie d’approvisionnement, l’Union européenne s’engage à financer une partie de leurs coûts de développement et de fabrication pour une somme de 2,1 milliards d’euros prélevés sur les 2,7 milliards de «l’instrument d’aide d’urgence».

Ces subventions publiques sont justifiées par le fait que l’UE demande aux laboratoires de produire un vaccin dans un délai de douze à dix-huit mois alors qu’en temps normal, le développement prend dix ans en moyenne, ce qui permet d’étaler les coûts dans le temps, des premiers tests à la fabrication en série en passant par l’autorisation de mise sur le marché. «On leur demande de tout faire en même temps, y compris de construire des chaînes de fabrication pour un vaccin qui ne verra peut-être pas le jour : dès lors, comme on n’est pas dans un monde «normal», il est logique qu’on prenne en charge une partie de leurs investissements et que l’on s’engage à acheter un certain nombre de doses», poursuit le porte-parole déjà cité. De plus, pour assurer la sécurité d’approvisionnement, ces vaccins devront impérativement être produits sur le territoire de l’UE, ce qui garantit de l’emploi.

Secret des affaires

La Commission a conclu un premier contrat en août avec AstraZeneca (400 millions de doses) puis avec le tandem Sanofi-GSK (300 millions), avec Johnson & Johnson (400 millions) et enfin avec Pfizer (300 millions), soit 1,4 milliard de doses pour l’instant. D’autres négociations sont en cours avec CureVac pour 225 millions de doses et Moderna pour 160 millions. Les vaccins seront ensuite achetés non par l’UE, mais par les 27 Etats, chacun ayant la garantie d’en recevoir en proportion de sa population.

S’il se réjouit de cette success story européenne, le Parlement européen lorgne avec circonspection les clauses couvertes par le secret des affaires. «On ne connaît pas le prix de la dose et la façon dont il a été fixé, la structure des coûts qui justifie l’aide du budget européen, le régime de responsabilité civile et celui de la propriété intellectuelle, s’inquiète le président de la commission environnement, sécurité alimentaire et santé, Pascal Canfin (Renew, LREM). Or on investit de l’argent public, ce qui implique de la transparence. Que les parties du contrat détaillant la composition du vaccin ou le procédé de fabrication soient secrètes, on peut le comprendre. Mais sur les quatre points que j’ai cités, non.»

De fait, on ne sait pas si l’UE aura droit à une partie des royalties des brevets développés grâce à son aide, ou au moins s’ils tomberont dans le domaine public plus rapidement qu’en temps normal (huit à onze ans), ou encore si les laboratoires seront bien responsables des éventuels effets secondaires des vaccins. La Commission, sur ce point, affirme que le droit commun s’appliquera, mais que chaque Etat pourra s’engager à prendre à sa charge les coûts des «défauts imprévisibles»… En clair, ce sera avec ceinture et bretelles pour les laboratoires. «Cette transparence est nécessaire si on veut que le vaccin soit socialement acceptable,estime Pascal Canfin. On s’est planté sur les masques, on s’est planté sur les tests, on ne peut se planter sur les vaccins.»

N.B.: article publié le 13 novembre