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Blog «Géographies en mouvement»

Le Doubs traînera-t-il l’Etat et les politiques au tribunal ?

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En 2017, le Parlement néozélandais reconnaît le Whanganui, un fleuve local, comme personne vivante et indivisible. Il devient un acteur du droit et il entre dans les relations humaines. Est-il possible d’imaginer que le Doubs pollué notamment par l’agriculture puisse demander des comptes?
Le Whanganui (Nouvele-Zélande) 290 kilomètres.
publié le 21 novembre 2020 à 14h53
(mis à jour le 24 novembre 2020 à 21h31)

Dans les remises en causedu capitalocène,l’une des premières attitudes à voir envers la nature – et les rivières enparticulier –, c’est de ne pas les voir comme une ressource «mais comme despersonnes envers qui il convient de maintenir des égards attendus»[1]. Aujourd’hui, enNouvelle-Zélande, on enseigne les rivières non pas seulement en géographie maisdans les facs… de droit. Car le 14 février 2017, le fleuve Whanganui est reconnucomme un sujet de droit par le Parlement[2]. Les Maoris ontgagné : « Je suis la rivière et la rivière est moi ».

Certaines rivières en France sont dans un état très critique. Les associations de défense de l’environnement ne savent pas comment alerter les politiques pour que les bonnes décisions soient prises. La santé écologique du Doubs et des rivières de son bassin versant, comme la Loue, est si dégradée que Jean-Luc Mélenchon s’est déplacé dans la région pour se faire expliquer la catastrophe à venir. Un reportage a été tourné et diffusé ci-dessous.

Pendant ce temps, ça bouge dans d'autres régions du monde. Depuis 1873, lesAborigènes néo-zélandais se battaient pour que leur rivière ait le statut d'unepersonne juridique. Désormais que c'est chose faite, pour le chercheur Sacha Bourgeois-Gironde (universitéParis-II, ENS), cet événement juridique donne de voir les rivières comme un «anti-cogito»,comme des outils de relation. Les humains deviennent partenaires d'unenvironnement partagé avec la rivière, la forêt. La rivière devient un acteurdu droit, «elle entre dans les relations humaines».

Décoloniser les rivières

Pour autant, une rivièrepeut-elle être un bien public ? Ce qu’on appelle un commun ? Unepersonne morale ? En Nouvelle-Zélande, les Maoris, représentants de la rivière peuvent l’accompagner au tribunal. Dans la cosmogonie maorie, larivière est considérée comme un membre de la famille, un ancien, voire unmédecin. Les Maoris s’identifient à elle parce qu’ils imaginent qu’elle lesenveloppe dans son être et, aussi bien la vallée, le bush, les poissonsnotamment des thons. Les groupes humains qui habitent la vallée pratiquent des travauxcollectifs comme les maisons communales, les exercices militaires, l’entretienhorticole, la pêche saisonnière.

La mythologie expliquecette faculté unificatrice de la rivière, par les actions d’une femme, appeléeRuaka, qui alloue à ses enfants l’amont, le centre et l’aval. Les Maoris se considèrentcomme reliés à l’ensemble de leur environnement naturel par des liens deparenté qui ne nécessitent même pas l’usage d’un droit de propriété, tantl’association est profonde et intime. On imagine le traumatisme causé par laconstruction d’un barrage et d’une centrale électrique à la fin des années1960. Pour mener à bien les conséquences de la loi reconnaissant la rivière, ila fallu abolir les droits de propriété de la Couronne sur les parties publiquesde la rivière. Son terrain est libre de droits et les principes institutionnelssont guidés par des valeurs et la reconnaissance d’une antériorité des usages.

Comment penser larivière ?

Comment la nommer ? Sacha Bourgeois-Gironde pose la question du genre comme on pourrait la poser dans la montagne du Jura : pourquoi le Doubs, la Loue ? La rivière néo-zéandaise n'est féminine quedans la mesure où elle jaillit de la terre. On n'ira pas jusqu'à voir en elle uneidole comme c'est le cas au Tamil Nadu. Va-t-on utiliser les catégories de l'ontologieoccidentale comme celle des « personnes » ? SachaBourgeois-Gironde recourt à une analyse toponymique et, mieux, topophilique, latopophilie telle qu'elle a été définie par Yi-Fu Tuan comme expérienceaffective, intellectuelle, associative d'un lieu, le tout formant un complexemental multi-dimensionnel entre les personnes et leurs environnements.

La France commel’Equateur ou la Bolivie reconnaissent des droits à la nature qui viennentaprès les droits de l’homme (1789) et les droits économiques et sociaux (1946).Ce sont des droits de solidarité visant à reconnaître ceux des générationsfutures comme lors des COP. Le fleuve Whanganui est l’une des étapes les plussûres dans l’histoire de l’écologie contemporaine. Il reste à d’autres régions du monde de se saisir de ces questions avec cette avancée néo-zélandaise.

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Suivre le beau travail de cette association SOS Loue et rivières comtoises


[1] Sacha Bourgeois-Gironde, Êtrela rivière. PUF, 254 p., 21 €

[2] Le textequi définit cette reconnaissance est le Te Awa Tupua.

Gilles Fumey a publié un texte sur le Doubs (Libération, 15 août 2013)