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Le camp de la liberté face à la loi sécurité globale

Des milliers de personnes ont manifesté samedi contre cette loi qui constitue une marche supplémentaire dans la dérive liberticide et autoritaire du gouvernement, estime Eric Coquerel, député La France insoumise de Seine-Saint-Denis.
Rassemblement contre la loi sécurité globale au Trocadéro à Paris, samedi. (Cyril ZANNETTACCI/Photo Cyril Zannettacci. Vu pour Libération)
publié le 23 novembre 2020 à 17h30

Tribune. Mobilisation la plus importante depuis le début de l'épidémie, le rassemblement de samedi après-midi, parvis des droits de l'homme, restera un des épisodes marquants de la période. Des milliers de personnes, jeunes pour la plupart, ont en effet clamé leur refus de la loi sécurité globale, et plus particulièrement de l'article 24.

Leurs applaudissements aussi chaleureux que spontanés aux orateurs dont j’étais au nom de La France insoumise contrastaient avec ceux, mécaniques, des députés de la majorité aux longs plaidoyers du ministre Darmanin pendant les cinq jours de débat à l’Assemblée nationale.

D’un côté, le soleil du Trocadéro, de l’autre l’ambiance sombre dans laquelle les marcheurs ont plongé l’hémicycle dans une séance nocturne de vendredi à samedi, pressés qu’ils étaient d’en finir et comptant peut-être sur la nuit pour atténuer leur méfait.

Car c’en est un. En ce sens, il est utile de faire un bilan des débats de la première lecture de cette proposition de loi. Ils confirment que cette PPL constituerait une marche supplémentaire dans la dérive liberticide et autoritaire du pouvoir macroniste.

Marine Le Pen ne s’y est pas trompée. Rare en séance, elle a cette fois-ci tenu à défendre cette proposition de loi. Son attitude fait écho aux propos de Darmanin qui considérait en 2017, alors dans l’équipe de campagne du candidat Fillon, que l’élection d’Emmanuel Macron lui ouvrirait la voie. Reconnaissons qu’il faisait preuve alors d’une belle lucidité : non seulement Emmanuel Macron ferait le meilleur adversaire possible en faveur de Marine Le Pen au second tour en 2022, mais, surtout, il recycle déjà bien des fondamentaux de l’extrême droite. Cette PPL sécurité globale le confirme. Rien d’étonnant d’ailleurs puisque nombre des articles sont directement inspirés par ceux des syndicats policiers qui ne cachent pas leur sympathie pour le Rassemblement national !

Les aspects très inquiétants de la loi

Avant de revenir sur l’article 24, qui vaut aujourd’hui à la France d’être pointé du doigt par l’ONU, la première lecture a rappelé d’autres aspects très inquiétants de cette possible loi : utilisation généralisée des drones, transmission en temps réel des caméras piétons à des postes de commandement, couplés à la reconnaissance faciale recommandée par le livre blanc sur la sécurité ; voilà qui ouvre la voie à une surveillance généralisée de la population de type «Big brother». Le renforcement des compétences de la police municipale, laissé au libre choix des maires, accroît l’inégalité des citoyens sur tout le territoire dans l’accès au service public de la sûreté. Il risque également d’être source d’abus d’une police dont l’action pourrait obéir aux orientations politiques du maire. Si j’estime nécessaire une refonte complète de la police nationale et des doctrines de maintien de l’ordre en France, cela ne vaut pas pour autant de s’engager dans la voie d’une «américanisation» de la sécurité. Je reste convaincu de la nécessité d’une police nationale une et indivisible.

Cette proposition de loi consiste donc à surveiller et contrôler toujours plus les citoyens. A l’inverse, elle réduit le droit d’information et de contrôle de ces derniers sur ceux qui ont le monopole de la violence légitime avec l’article 24. Dans les faits, cet article interdira bien aux policiers qu’on les filme, ou plutôt leur donnera la possibilité, à la «gueule du client», d’empêcher certains de le faire. M. Darmanin a eu beau prétexter que cette loi vise uniquement à protéger les policiers a posteriori contre les menaces, les appels à la haine et les diffamations accompagnant parfois la diffusion d’images, le contexte et le texte disent l’inverse.

D'une part, s'il ne s'agissait que de cela, les débats ont montré que cette loi ne servirait à rien puisque l'arsenal juridique actuel punit déjà de tels actes. D'autre part, la loi permet à un policier d'intervenir préventivement pour empêcher un acte délictueux passible d'une peine d'emprisonnement. Ce sera la justification donnée à l'intervention d'un policier estimant que ses collègues ou lui sont filmés dans «le but manifeste qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique», pour reprendre à la fois la prise en compte de «l'intentionnalité» et le caractère vague et subjectif de l'acte tel qu'écrit dans l'article.

Si on voulait finir de se convaincre de ce qui se passera concrètement sur le terrain, la répression inédite qui s’est abattue sur les mouvements sociaux depuis deux ans le confirme. J’en ai été souvent le témoin direct dans ces mobilisations. Combien de fois ai-je vu des policiers vouloir empêcher, en toute illégalité, qu’on les filme avec plus ou moins de succès selon le rapport de force alors ? Les événements de la manifestation parisienne du 17 novembre contre cette PPL ont, de ce point de vue, marqué une aggravation de cette dérive.

Des journalistes molestés et mis en garde à vue

Ce fut en réalité une véritable anticipation de la loi, la police ayant officiellement sommé toute la presse d’arrêter de couvrir la manifestation. Parce qu’ils l’ont refusée, plusieurs journalistes et reporters, dont un cameraman de France 3, se sont retrouvés molestés et mis en garde à vue ! Cet ordre contraire au principe du droit d’information ne découlait pas d’un excès de zèle de la part des policiers, mais d’une consigne politique donnée à un gradé sur le terrain. D’ailleurs, le lendemain, M. Darmanin l’a justifié en expliquant que les journalistes en question n’avaient pas déclaré leur intention de couvrir l’événement auprès de la préfecture ; confondant ainsi la presse avec des serviteurs de la propagande officielle du gouvernement.

Ce qui s’est passé cette semaine dans l’hémicycle et dans la rue pourrait donc marquer un tournant. J’ai la certitude qu’Emmanuel Macron et son ministre de l’Intérieur ont été trop loin en ces temps où nos libertés sont déjà confinées pour des raisons sanitaires. Les Français tiennent au principe premier de la devise républicaine. Or, samedi, le camp de la liberté était du côté de Trocadéro. J’ai également la certitude que sa mobilisation va s’amplifier dans les jours à venir pour faire échouer cette proposition de loi que, par ailleurs, nous attaquerons devant le Conseil constitutionnel. Plus largement, la PPL sécurité globale va devenir un marqueur déterminant du débat politique, entre ceux qui l’ont promue ou soutenue et ceux qui l’ont combattue.

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