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Le G20 et la dette des pays pauvres : un accord historiquement vide

La France doit inciter tous les pays du G20, ainsi que leurs entreprises, à cesser d’encaisser les paiements de la dette des pays dont les populations luttent pour survivre.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors du sommet du G20, dimanche. (Photo Turkish Presidency. AP)
par Cécile Duflot, Fanny Gallois, coordinatrice de la Plateforme française Dette & Développement et Manuèle Derolez, déléguée générale du CCFD-Terre Solidaire
publié le 25 novembre 2020 à 15h15

Tribune. Des malades incapables de payer les traitements ; des jeunes filles luttant pour retourner à l'école ; des centaines de millions de personnes poussées dans la pauvreté ; l'ampleur de la pandémie, et ses conséquences sociales et économiques, s'avèrent plus terrifiante que ce que nous avions imaginé. Beaucoup de pays en développement sont contraints de choisir entre protéger au mieux leurs populations face à cette crise ou rembourser une dette publique devenue intenable. C'est justement pour trouver une solution à ce dilemme que le G20 s'est réuni ce week-end. Malheureusement, loin d'être à la hauteur de l'urgence, le cadre qu'ils ont validé semble nier la gravité de la situation.

A l’initiative de la France, les pays riches avaient pourtant réagi rapidement. Le G20 avait lancé en avril l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD), proposant à 73 pays parmi les plus pauvres du monde de reporter le paiement de leurs dettes bilatérales. Mais cette initiative a rapidement montré ses limites. Seuls 46 des 73 pays éligibles ont demandé à en bénéficier, représentant 1,6% de la totalité des remboursements dus par les pays en développement en 2020. Les créanciers privés, malgré leur poids, avaient seulement été «invités» à suspendre le remboursement de leurs créances. Evidemment, aucun ne l’a fait. Cette non prise en compte de la dette privée a dissuadé de nombreux pays pauvres de demander à bénéficier de l’initiative, par crainte de voir se détériorer leur notation financière et donc leurs chances de refinancement ou d’emprunt futur.

Manque d’ambition

La réunion extraordinaire des ministres des finances du 13 novembre devait rectifier le tir en prévoyant des modalités d’allègement des dettes. Mais le «cadre commun de traitement de la dette» annoncé et que la France a qualifié d’«historique», s’avère dommageable au vu de la sévérité de la crise. Au lieu de tenter d’arrêter l’hémorragie des finances des pays les plus pauvres pour leur permettre de sauver des vies, les 20 principales économies de la planète ne prévoient d’annulations que de manière exceptionnelle, préférant des rééchelonnements.

De plus, le cadre conserve le même périmètre géographique et donc exclut une nouvelle fois les pays à revenu intermédiaire où se trouvent pourtant la majorité des populations vivant dans la pauvreté et qui sont touchées de plein fouet par cette crise de la dette. Le président de la République avait pu lui-même constater cette situation dramatique au Liban récemment.

En ce qui concerne les créanciers contraints, le manque d’ambition est identique. Les créanciers multilatéraux – comme la Banque mondiale ou le FMI –, qui détiennent un tiers de la dette extérieure africaine, sont une fois de plus absents de l’initiative. Les créanciers privés, eux, devront être impliqués directement par les pays débiteurs, en leur demandant des termes de restructuration « comparables » à ceux accordés par les États. Mais le cadre ne précise toujours pas comment ils pourraient être contraints d’accepter ces termes, ni ce qu’il se passerait s’ils venaient à refuser.

L’avancée historique annoncée n’a pas eu lieu

Le G20 manque-t-il de courage pour contraindre directement ces créanciers ou souhaite-t-il leur laisser volontairement plus de marge de manœuvre ? Faire porter la responsabilité sur les pays les plus pauvres, en laissant les mains libres aux créanciers privés, est irresponsable. L’échec de l’ISSD leur est en grande partie attribuable. La Zambie est devenue le premier pays africain à faire défaut sur sa dette, précisément après que ses créanciers privés ont refusé le report des remboursements que le pays demandait. Au final le cadre fait le choix de restructurations au cas par cas, et avec chacune de catégories de créanciers séparément. Cette approche fragmentaire, qui promet de s’avérer longue et fastidieuse, ignore le besoin d’un allégement massif et immédiat pour permettre aux pays en développement de répondre aux besoins urgents de leur population. Les pays du G20 ont pourtant de leur côté déclenché une puissance de feu financière sans précédent, avec plus de 8 000 milliards de dollars d’argent frais pour protéger leurs propres économies. Cela met en perspective les 12 milliards de dollars de suspensions de dettes concédées jusqu’à présent.

La France doit donc reconnaître dès maintenant que ce cadre est inadapté et insuffisant mais surtout s’assurer que les voix des pays débiteurs seront bien associées aux discussions à l’avenir. Cela n’a pas été le cas jusqu’ici, c’est pourtant en impliquant les premiers concernés qu’un cadre adapté aurait pu être créé. L’avancée historique annoncée n’a pas eu lieu car le cadre adopté par le G20 comporte tout autant de défauts que l’initiative précédente. Il fait fi de toute urgence et laisse les pays pauvres seuls face à des créanciers privés peu scrupuleux.

La France a été le pays qui a initié les discussions sur la dette dès le mois d’avril. Il lui incombe donc d’inciter tous les pays du G20, ainsi que leurs entreprises, à cesser dès maintenant d’encaisser les paiements de la dette des pays dont les populations luttent pour survivre et à s’engager à trouver avec les pays concernés un cadre de restructuration adapté. C’est bien là le seul moyen pour les dirigeants du G20 de réussir à relever le défi de la plus grande crise mondiale depuis une génération.

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