Tribune. «Ne parlez pas de "répression" ou de "violences policières", ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit», affirmait Emmanuel Macron en mars 2019. La volonté d'invisibiliser ces violences n'aura cependant pas résisté à leur éclosion, et c'est historique, dans le débat public.
Les poursuites immédiates contre les quatre policiers auteurs des violences à l’égard du producteur Michel Zecler, d’une immense gravité, constituent une réponse judiciaire à la rapidité inédite. L’incarcération de deux policiers sur quatre l’est encore plus. Elle ne doit cependant pas occulter la nécessité urgente d’un débat démocratique portant aussi bien sur la faiblesse de la judiciarisation des violences policières que sur les défaillances structurelles de la chaîne hiérarchique.
La mort de Cédric Chouviat, ses cris, répétant sept fois «J'étouffe», avaient déjà contribué à l'inquiétude face à ces violences par l'effet d'une identification qui était de basse fréquence quand les victimes de ces bavures étaient des jeunes de banlieues. Le nombre considérable de mutilés graves pendant la crise des gilets jaunes a accentué cet effet mimétique chez beaucoup de manifestants pacifiques. Pourtant, la Place Beauvau, en dépit de nombreuses demandes de la famille, reste sourde aux mesures qui s'imposaient, soit la suspension des policiers à l'origine du décès de Cédric Chouviat.
De l’excuse au traitement exemplaire
A ce traitement à géométrie variable, s’ajoute désormais une modulation opportuniste dans l’intensité de la réponse pénale. On ne cesse d’osciller entre la culture de l’excuse et un traitement que l’on veut exemplaire à des fins exclusivement politiques.
Quand la police exhibe après les faits le casier judiciaire de la victime, s’opère pour certains, post mortem, un tour de passe-passe cynique faisant triompher la culture de l’excuse. Celle-ci est accompagnée par un déni structurel persistant des violences policières. Depuis des décennies, on entend en effet de la bouche de la hiérarchie policière et des responsables politiques une expression publique obsédée de les relativiser, au risque de rajouter aux souffrances le mépris de la parole des victimes et au risque d’accentuer le sentiment d’impunité des policiers.
Pour tenter d’éteindre l’incendie qui gagne, c’est la figure du bouc émissaire dont on se saisit, ou si l’on préfère, dans une version plus basse, celle du fusible, avant tout débat de fond.
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Le président de la République en a appelé lui-même aux sanctions les plus sévères contre les policiers, au mépris d'ailleurs du principe de la séparation des pouvoirs, relayé par le directeur de la police nationale, M. Frédéric Veaux, qui n'a pas hésité à dénoncer «des comportements de délinquants».
Funeste dialectique qui veut à nouveau opérer comme un écran de fumée pour retarder ce qui s’impose : une vraie reconnaissance publique d’un problème grave qui, au-delà des troubles créés dans la majorité présidentielle, s’il n’était pas appréhendé avec vision et courage, ne pourrait demain qu’attiser de nouvelles colères et violences.
Les policiers mis en examen ou incarcérés ne sont pas un petit quarteron de pervers qui n’auraient rien à voir avec les autres. Ce type de comportement a été facilité et encouragé à la fois par la logique du chiffre, la surenchère démagogique faisant du droit à la sécurité des Français l’alpha et l’oméga de la parole publique, et bien sûr par la contagion, l’accoutumance et la banalisation des états d’urgence en France.
Si un policier passe à l’acte, c’est qu’il a le sentiment qu’il peut le faire parce qu’à la fois la parole publique, la hiérarchie et la faiblesse du traitement judiciaire a minima décomplexent la transgression, outre la responsabilité lourde de syndicats qui devant l’évidence des faits continuent parfois à cracher sur les victimes et entretenir ainsi un clivage malfaisant.
Les responsabilités politiques, morales et hiérarchiques
Il serait vain de penser que le bannissement et la criminalisation rapides des policiers pourraient convaincre les citoyens français que nos responsables publics prennent leurs responsabilités eu égard à la gravité de la crise. Si les responsabilités individuelles doivent être recherchées, elles ne sauraient exonérer les responsabilités politiques, morales et hiérarchiques à l’origine de cette tragédie.
Personne n’est dupe du fait que ces poursuites ne traduisent en l’état aucun changement de cap dans cette politique du déni. Il serait illusoire de penser qu’il peut intervenir seul tant le pouvoir politique semble aujourd’hui embarqué dans une dérive autoritaire qui chaque jour s’illustre davantage.
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