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VGE, l'un des pères de l'Europe moderne

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VGE est mort le 2 décembre 2020. Voici la petite bio que je lui ai consacré.Le bilan européen du septennat de VGE est moins spectaculaire que celui de son successeur, François Mitterrand, père de l’Union et de l’euro, mais comme le sont les fondations par rapport à l’immeuble sur lesquelles elles reposent : sans elles, rien de possible et de durable. En 1974, la Communauté économique européenne (CEE) des neufs que reçoit en héritage l’ancien ministre des finances de Georges Pompidou vivote, sonn
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publié le 14 décembre 2020 à 19h46
VGE est mort le 2 décembre 2020. Voici la petite bio que je lui ai consacré.
Le bilan européen du septennat de VGE est moins spectaculaire que celui de son successeur, François Mitterrand, père de l’Union et de l’euro, mais comme le sont les fondations par rapport à l’immeuble sur lesquelles elles reposent : sans elles, rien de possible et de durable. En 1974, la Communauté économique européenne (CEE) des neufs que reçoit en héritage l’ancien ministre des finances de Georges Pompidou vivote, sonnée par une série de crises : l’échec du plan Fouchet en 1962 imaginé par de Gaulle pour permettre à l’Europe de parler politique en réunissant régulièrement les chefs d’Etat et de gouvernement, la crise de la chaise vide en 1965, le général français refusant le passage au vote à la majorité qualifiée, l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971 ou encore le choc pétrolier de 1973. La CEE, qui se résume alors à une union douanière et à une politique agricole commune, n’est qu’un fétu de paille balloté par des évènements qui la dépassent. Le « serpent monétaire » créé en 1972 pour faire barrage aux tempêtes monétaires créées par la fin de la convertibilité du dollar en or est d’ailleurs un échec : « il gît désormais sur le sol, la peau trouée », constate ironiquement VGE en 1978.

Le chef de l'Etat français, qui a longtemps milité pour des « Etats-Unis d'Europe », s'attèle à relancer la machine communautaire. Il peut compter sur l'appui du chancelier allemand, élu la même année que lui, le social-démocrate Helmut Schmidt, qu'il connait bien puisqu'il est lui aussi ancien ministre des finances. Les deux hommes se font une confiance totale, comme jamais dans l'histoire franco-allemande avant et depuis : arrogants, sûrs d'eux-mêmes et dominateurs, ils se reconnaissent mutuellement une intelligence hors du commun et une lucidité économique dont ils ne créditent que peu de leurs interlocuteurs.

En décembre 1974, VGE obtient la création de ce qui va devenir l'institution phare de la CEE puis de l'Union, le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement : il a pris conscience qu'il est impossible de faire l'Europe sans les Etats, ce qui passe par des réunions régulières entre les « chefs » seuls à même de faire les compromis nécessaires. En échange, il concède à Schmidt l'élection au suffrage universel du Parlement européen, une instance alors sans pouvoir (il faudra attendre le traité de Maastricht de 1992).

Surtout, avec son comparse allemand, il va créer en 1978, le Système monétaire européen (SME), bien plus contraignant que le défunt « serpent », afin de forcer la convergence des économies. C’est sur cette base que sera construite la monnaie unique qui verra le jour 21 ans plus tard à la grande fierté de VGE. Mais il sera déçu que sa trouvaille, l’Ecu (pour « European currency unit », l’ancre du SME composé d’un panier de monnaies), ait été délaissée en 1996 au profit du terne euro.

Las, l’élection de Margaret Thatcher, en mai 1979, puis le second choc pétrolier, en 79-80, mettront fin à ses efforts : c’est le début d’une nouvelle période d’eurosclérose. Il faudra attendre 1984 pour que François Mitterrand et Helmuth Kohl reprennent le flambeau. Ils le feront et avec quelle maestria ! Mais sans VGE, dont le SME a dissuadé les socialistes de partir à l’aventure économique en 1983, rien n’aurait été possible.

Photo: AP