Est-il encore possible d’exercer le journalisme, métier de contact par nature, en temps de confinement ? Plus les mesures sanitaires se prolongent, plus la question de la liberté de la presse se pose. On en a eu une nouvelle illustration ce vendredi avec la «conférence de presse» d’Emmanuel Macron organisée via Zoom. Elle s’est résumée en une déclaration liminaire et à trois questions en tout et pour tout alors que le chef de l’Etat français rendait compte d’un sommet européen «jumbo» où ont été traités des sujets importants : protection de l’Etat de droit, budget européen, climat, Turquie, union bancaire, etc. Et sur les trois journalistes qui ont eu la parole, deux représentaient des médias de langue anglaise (Politico et le Daily Mail), et la consœur de LCI s’est intéressée au coronavirus qui n’était pas vraiment le sujet du conseil… Furieux, les journalistes français se sont indignés sur le groupe WhatsApp de l’Elysée, seul lien de contact commun, mais les protestations ne parviendront pas aux oreilles du président de la République.
Vernis de conférence de presse
Le scénario avait été identique lors du sommet d’octobre : cinq questions dont quatre accordées à des médias anglo-saxons… Une distribution parcimonieuse de la parole contrôlée par l’Elysée qui ouvre et ferme les micros et écarte quasi systématiquement la presse française, comme s’il s’agissait d’éviter le risque d’une question embarrassante. Comment ne pas penser qu’il s’agit d’une politique délibérée visant à donner à un exercice de pure communication un simple vernis de conférence de presse où le contradictoire et le droit de suite sont la règle ?
A terme, si les mesures sanitaires perdurent, on peut imaginer que ces «conférences de presse» seront remplacées par de simples messages enregistrés à l’image de ce que fait déjà Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, qui fuit les médias comme la peste. Pour sa défense, l’équipe chargée de la communication jupitérienne fait valoir que les confrères européens ne sont pas mieux traités, ce qui est parfaitement exact. En réalité, c’est l’ensemble des dirigeants de l’Union qui n’aime pas la presse, cet empêcheur de gouverner en rond.
Multiplication des obstacles
Le coronavirus leur a fourni un prétexte en or pour l’écarter. Comment ne pas noter que si, eux, peuvent se réunir physiquement sans danger, la présence, même en nombre limité, de journalistes, est jugée sanitairement extrêmement périlleuse ? Reconnaissons que cette volonté de cadenasser l’Europe ne date pas du coronavirus : cela fait vingt ans que les institutions multiplient les obstacles afin que les journalistes ne puissent en aucun cas croiser un responsable politique en dehors des salles de presse. La pandémie a permis de pousser à son paroxysme cette dérive : les bâtiments européens leur sont désormais interdits (seul le Parlement fait exception), les conférences de presse virtuelles permettent un contrôle de la parole médiatique et les journalistes perdent petit à petit le contact avec des sources non agréées faute de pouvoir les identifier et les rencontrer discrètement. Le pouvoir peut dès lors se contenter de communiquer, un exercice qui est à la liberté de la presse ce qu’un patch de nicotine est au havane. Donner des leçons de démocratie et d’Etat de droit à l’Europe de l’Est va devenir de plus en plus difficile.