Emmanuel Macron n'a pas caché sa satisfaction : «l'Union européenne a démontré sa capacité à faire preuve de fermeté» face aux «provocations» de la Turquie en décidant du principe de nouvelles sanctions à l'encontre d'Ankara, s'est-il réjoui à l'issue du sommet européen de Bruxelles qui s'est déroulé jeudi et vendredi.«Il y a six mois, on disait : la France est toute seule» sur ce dossier, notamment lorsqu'elle a envoyé (ainsi que l'Italie) des renforts militaires en Méditerranée orientale pour afficher son soutien à Chypre et à la Grèce confrontés aux forages gaziers illégaux entrepris par Ankara dans leurs eaux territoriales. Pour le chef de l'Etat, «on a raison parfois d'être clairs et vocaux quand les comportements sont inacceptables». Mais «les sanctions ne sont pas radicales», tempère un diplomate européen, «on va serrer progressivement la vis».
Dégradé
La discussion entre les Vingt-Sept, contrairement au Conseil européen des 1er et 2 octobre dernier, n'a pas porté sur le principe même des sanctions : «Pas un Etat membre n'a remis en cause le fait que la Turquie n'a pas saisi la main que nous lui tendions pour apaiser les tensions [une amélioration de l'union douanière qui la lie à l'UE et des moyens financiers supplémentaires pour gérer les camps de réfugiés syriens, ndlr]. Ils ont tous reconnu que c'était l'inverse qui s'était passé, que la situation s'était dégradée sur tous les fronts», poursuit cette même source.
Ainsi, outre la poursuite de forages exploratoires dans les eaux chypriotes, «la Turquie continue à violer l’embargo sur les armes à destination de la Libye et [ce faisant] elle menace nos intérêts sur le plan migratoire puisqu’elle ne permet pas un bon contrôle des côtes et en introduisant des jihadistes sur une zone de départ vers l’Europe» a détaillé le président de la République. De même, elle est intervenue dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le Haut-Karabakh ou «continue d’avoir des actions unilatérales non conformes en Syrie […] qui nous font courir le risque de la reconstitution d’un califat territorial».
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La prise de conscience du danger représenté par la politique agressive et expansionniste de Recep Tayyip Erdogan, le président turc, est donc désormais partagée par les Vingt-Sept. Mais les divergences d’intérêts à l’égard du pays subsistant, la vive discussion a porté sur l’ampleur et le rythme des sanctions. Entre les durs (Chypre et Grèce) et les attentistes qui ne voulaient rien décider avant l’installation de l’administration de Joe Biden, c’est la position médiane franco-allemande qui s’est imposée : des sanctions visant des personnes impliquées dans les forages illégaux en Méditerranée orientale seront prises dans les prochaines semaines par les ministres des Affaires étrangères et des mesures supplémentaires seront décidées si la Turquie poursuit ses actions «illégales et agressives».
Le chef de la diplomatie de l'UE, l'Espagnol Josep Borrell, a aussi été chargé de faire un rapport d'ici mars prochain sur l'évolution des actions turques qui menacent les intérêts de l'Union européenne tant sur les plans économiques, commerciaux et politiques, ce qui vise en particulier le non-respect par Ankara de l'union douanière qui la lie à l'Union depuis 1995, et de présenter des «instruments et options» découlant de cette analyse. En clair les sanctions pourraient alors toucher des secteurs économiques entiers, une option écartée pour l'instant. «La réponse est nette : on montre qu'on n'est pas apeuré et qu'on prend des décisions», se réjouit un diplomate.
Armes
Reste que cette approche graduelle a réjoui le président turc. «Des pays de l’Union dotés de bon sens ont adopté une approche positive et ont torpillé [le] jeu» visant à imposer des sanctions plus sévères, a-t-il déclaré. Il vise en particulier le rejet de la demande grecque d’imposer un embargo sur les armes à destination de la Turquie, ce que la France a déjà fait. «La Grèce a surtout peur pour elle-même, car Ankara renforce en ce moment sa capacité navale», décrypte un diplomate. Ce sont l’Italie et l’Espagne (qui construit le premier porte-aéronefs turc) qui sont les deux premiers exportateurs européens d’armes à destination de la Turquie, ainsi que l’Allemagne qui s’y sont opposées. Pour Angela Merkel, la chancelière allemande, la question doit être abordée dans le cadre de l’Otan dont la Turquie est toujours membre : «Nous devons nous coordonner avec la nouvelle administration américaine» sur cette question. Le fait que les Américains aient annoncé ce vendredi matin, sur une base bipartisane, un premier jeu de sanctions contre la Turquie pour la punir d’avoir acquis des missiles russes S-400 indique qu’Ankara ne perd rien pour attendre.