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TRIBUNE

Séparatisme : remettre la «réussite républicaine» au cœur du projet de loi

Une vingtaine de députés et de membres d’En Commun regrettent le déséquilibre de l’actuel projet de loi sur le séparatisme, qui laisse peu de place à l’éducation, à l’emploi et au logement. Ils appellent à reconnaître la «non-discrimination» comme un principe républicain à part entière.
Lors de la manifestation contre la loi de sécurité globale à Paris le 12 décembre. (CHARLES PLATIAU/Photo Charles Platiau. Reuters)
par Des députés et des membres d'En Commun
publié le 21 décembre 2020 à 17h49

Tribune. Pour mériter pleinement son nom, le projet de loi confortant les principes de la République devra donner corps à la promesse de notre devise : liberté, égalité, fraternité. En Commun se propose d'ajouter au projet de loi un titre dédié à la «réussite républicaine» en matière d'éducation, d'emploi et de logement. Cela constituerait une première étape dans la reconnaissance de la non-discrimination comme principe républicain à part entière et condition d'exercice de toutes les libertés.

En l’état, les articles visent notamment à renforcer le principe de neutralité dans la fonction publique et ses délégataires, à étendre le pouvoir de contrôle administratif en matière de culte, à nous protéger de la haine en ligne et à mettre fin à des pratiques contraires aux lois et aux principes de la République. Ces dispositifs législatifs sont utiles pour mettre fin au mélange des genres et pour contrer les discours et pratiques séparatistes qui prônent la division et la violence, à travers une pratique radicale de la religion, comme c’est le cas – mais pas exclusivement – avec l’islamisme radical.

S’ils sont une partie de la solution, ces textes ne doivent en aucun cas faire oublier – en nous focalisant sur les déviances graves de minorités particulièrement actives – l’engagement authentique et républicain des associations, élus et citoyens sur les territoires déshérités de la République. Et nous serons vigilants à ce que l’accompagnement et la formation des acteurs associatifs ne soient pas sacrifiés au profit d’un strict et seul contrôle administratif.

Emancipation et inclusion

Surtout, nous déplorons que ce projet de loi n’offre pas de réponse satisfaisante aux deux grands principes républicains que sont l’égalité et la fraternité. Chacun doit avoir la possibilité objective et réelle, non seulement juridique et statutaire, de construire son propre parcours de citoyenneté, de formation et d’activité professionnelle, quelles que soient ses conditions de vie données (sexe, milieu social et culturel de naissance, lieu de résidence, handicap…). L’émancipation de chacun et l’inclusion de tous sont les deux faces d’une même pièce : la République, notre bien commun.

Nous devons faire de la «réussite républicaine» davantage qu’un discours. Nous avons besoin de politiques publiques volontaristes qui, en s’appuyant sur le triptyque emploi, éducation et logement, fassent de l’égalité des chances plus qu’une incantation légitime, un droit réel.

En matière d'emploi, la lutte contre toute discrimination doit être amplifiée. Le «testing» voulu par le président de la République et les recherches du CNRS ont mis en évidence tant la discrimination «significative et robuste», à l'embauche, à l'encontre de candidats français présumés maghrébins, que la faible efficacité des dispositifs basés uniquement sur l'incitation financière à l'embauche. L'Etat employeur lui-même ne parvient pas pour sa propre fonction publique à corriger significativement ces biais.

Pour pouvoir lutter contre les discriminations dans l’ensemble de la société, il faut pouvoir mesurer et évaluer l’efficacité des dispositifs. Nous proposons, en conséquence, que ce texte de loi fixe les bases de la création d’un futur index de la diversité qui s’appliquera dans la fonction publique comme dans les entreprises du secteur privé. Il permettra d’établir un rapport annuel sur les enjeux de la diversité sociale et fixera l’objectif annuel concerté de progression.

Mixité sociale

Dans le domaine de l’éducation, notre système éducatif n’a pas cassé le cycle de la reproduction des inégalités qui se traduit par l’accroissement des différences de niveau scolaire des enfants en fonction de leur origine sociale. La mixité sociale reste insuffisante et peu compensée par la carte scolaire. Nous proposons de soutenir la mobilité croisée des élèves sur le modèle des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) en favorisant une adaptation des horaires et l’instauration de transports scolaires spécifiques pratiques et gratuits pour mélanger des élèves de quartiers différents dans des établissements scolaires tiers. Il nous semble également important d’inciter les établissements à garder systématiquement contact avec leurs anciens élèves les plus méritants pour valoriser ces parcours exemplaires auprès de leurs élèves.

Enfin, une refonte de la politique de logement social est nécessaire. Les travailleurs, caissiers, éboueurs, personnels hospitaliers, policiers, enseignants qui ont démontré, à l’occasion de la crise sanitaire, toute leur valeur pour la nation, doivent pouvoir être assurés de l’accès à un logement digne, à un prix abordable. Les classes moyennes qui sont progressivement chassées du parc privé par la flambée immobilière dans les zones sous tensions ne doivent pas être oubliées. Aussi, n’ayons pas peur de développer des formes alternatives de soutien public dans le domaine du logement, par exemple en renforçant les dispositifs dissociant propriété des murs et propriété foncière.

Nous sommes attachés au succès de la «promesse républicaine», évoquée par le président de la République dans son discours des Mureaux. C'est une approche globale qui devra intégrer le conditionnement de l'octroi de tout subventionnement public à un engagement concret du bénéficiaire en faveur de la lutte contre les discriminations et de l'égalité des chances.

Nous savons aussi ce que ce texte ne doit pas être : un moyen de jeter de l’huile sur le feu pour surjouer une position de fermeté quitte à accroître les fractures françaises. Ce projet de loi n’est pas un texte de refondation de la laïcité. Et nous nous opposerons à ce qu’il change de nature à force de déclarations intempestives et de postures. Car sur ces sujets au cœur de notre contrat social, il est insupportable d’avoir à se positionner dans le combat manichéen entre «laïcs radicaux» et «apaisés».

La laïcité, à l’image de la promesse républicaine, appartient avec force à chacun d’entre nous.

Signataires
Philippe Hardouin, président d'En Commun ; Jacques Maire, vice-président d'En Commun ; Hugues Renson, vice-président d'En Commun ;

Les membres du conseil d'En Commun : Stéphanie Abbadie, Denis Brun, Isabelle Deak-Mikol, Carole Filleur, Pascal Gentil, Marcel Grignard, Rachida Kaaout, Davy Marchand-Maillet, Laurence Petit-Dessaint, Jérémy Stutz, Séverine Tafforeau, Yolaine Vignaud ;

Les députés membres d'En Commun : Didier Baichère, Yves Blein, Pierre Cabaré, Mireille Clapot, Philippe Chalumeau, Cécile Delpirou, Coralie Dubost, Stella Dupont, Anissa Khedher, Cécile Muschotti, Sandrine Mörch, Zivka Park, Bénédicte Pételle, Damien Pichereau, Michèle Peyron, Cécile Rilhac, Nathalie Sarles, Elisabeth Toutut-Picard,  Liliana Tanguy ;

Membres d'En Commun : Lynda Aba, Mohammed Anaya, Hanane Bengualou, Sheerazed Boulkroun, Nicole Devaux-Vourc'h, Jeannine Duchesne, François Ernst, Philippe Germe, Nesrine Hanout, Sabrina Hazan, David Hivet.