L’Union européenne termine l’année 2020 en fanfare ! Confrontée à une crise sanitaire et économique sans précédent depuis sa création, elle a été capable d’y faire face avec maestria après quelques semaines chaotiques en février et mars. Toutes les lignes rouges fixées au fil des années par tel ou tel Etat ont été franchies les unes après les autres au point que l’Union semble aujourd’hui plus forte que jamais. Apparence ou réalité ?
Le plus spectaculaire a été sans aucun doute la création, définitivement actée jeudi dernier, d'un fonds de relance doté de 750 milliards d'euros qui seront empruntés par la Commission, transformée pour l'occasion en «Trésor européen», avant d'être redistribuée aux Etats sous forme de subventions ou de prêts. Une capacité d'emprunt européenne dont l'Allemagne n'avait jamais voulu entendre parler parce qu'elle signifiait la création d'une «Union de transferts» entre riches et pauvres. A ce fonds, qui sera remboursé grâce à de nouveaux «impôts européens» payés par des entreprises qui n'en payent pas ou qui ne respectent pas les normes environnementales, il faut ajouter le budget pour la période 2021-2027, certes amputé par rapport à ce que proposait la Commission, mais qui permet à l'Union de disposer d'un canon budgétaire de 1 800 milliards, un niveau sans précédent.
L’Union a aussi réussi à créer «SURE», un fonds de 100 milliards d’euros (là aussi empruntés sur les marchés par la Commission avant d’être reprêtés aux Etats) destiné à soutenir les systèmes d’assurance chômage mis à rude épreuve. A cet ensemble, il faut ajouter les plus de 1 800 milliards d’euros que la Banque centrale européenne consacre au rachat des obligations d’Etat et des entreprises afin de faire baisser les taux ce qui permet aux gouvernements d’emprunter à tour de bras.
Fulgurant
Sur d’autres plans, les progrès ont été aussi fulgurants : ainsi, l’Union s’est enfin dotée d’un mécanisme liant le versement des subventions au respect de l’Etat de droit, ce dont les pays de l’Est ne voulaient pas entendre parler jusque-là. Certes, il s’agit seulement de garantir la bonne utilisation de l’argent communautaire et pas les valeurs européennes en général, mais c’est un sacré premier pas puisqu’il fait sauter le verrou de l’unanimité.
On peut aussi citer l'achèvement de l'Union bancaire, les progrès de la politique étrangère commune dont témoignent les sanctions contre la Turquie, mais aussi la Biélorussie, ou encore la mise en place d'une «Europe sanitaire», jusque-là chasse gardée des Etats,l'achat en commun des vaccins contre le Covid-19 étant l'une de ses premières manifestations. Au passage, la plupart de ces progrès dans l'intégration n'auraient pas été possibles si le Royaume-Uni n'avait pas eu la bonne idée de quitter l'Union…
Décrochage
Mais tous ces succès ne peuvent pas dissimuler le fait que la crise sanitaire a approfondi les lignes de fractures existantes : la récession qui touche l’ensemble du continent va accroître les divergences économiques puisqu’elle ira du simple au double en fonction des mesures adoptées. Or, c’est le sud de l’Europe, déjà en difficulté, qui a mis à l’arrêt son économie, pas le nord. Plus grave, la France, dont la récession va atteindre le chiffre vertigineux de 11% ou 12% du PIB et la dette publique exploser à 122% du PIB, a clairement décroché de l’Allemagne dont la récession ne dépassera pas 5% et la dette 70%.
La France est désormais clairement un pays du Sud, ce qui déséquilibre davantage une zone euro déjà minée par une mobilité des capitaux en chute libre, les pays en excédent investissant aux Etats-Unis ou en Chine. Et ces deux pays ayant déjà renoué avec la croissance, cette tendance va encore s’aggraver. Le fonds de relance sera-t-il suffisant pour combler ces failles ? A son niveau actuel, on peut en douter. Autant dire que le risque d’une explosion de l’euro et, partant, de l’Union n’a jamais été aussi réel.