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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Angela Merkel: et à la fin, c'est l'Europe qui gagne

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Angela Merkel, dans la dernière ligne droite de son quatrième et dernier mandat à la tête de l’Allemagne, a réussi, de façon inattendue, à inscrire son nom au panthéon de l’histoire européenne à l’instar de ses grands prédécesseurs que sont Helmut Kohl, Helmut Schmidt et Konrad Adenauer. Jusque-là, la chancelière était plutôt connue comme la «Frau Nein» de l’Europe, celle qui faisait prévaloir en toutes circonstances les intérêts allemands même si cela devait déstabiliser l’Union, de l’économie
German Chancellor Angela Merkel holds a news conference at the end of a EU leaders summit in Brussels, Belgium, December 11, 2020. REUTERS/Johanna Geron/Pool (Photo Johanna Geron. Reuters)
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles (UE)
publié le 9 janvier 2021 à 19h00

Angela Merkel, dans la dernière ligne droite de son quatrième et dernier mandat à la tête de l’Allemagne, a réussi, de façon inattendue, à inscrire son nom au panthéon de l’histoire européenne à l’instar de ses grands prédécesseurs que sont Helmut Kohl, Helmut Schmidt et Konrad Adenauer. Jusque-là, la chancelière était plutôt connue comme la «Frau Nein» de l’Europe, celle qui faisait prévaloir en toutes circonstances les intérêts allemands même si cela devait déstabiliser l’Union, de l’économie à l’immigration en passant par le nucléaire. Mais sa présidence semestrielle de l’Union, qui s’est achevée le 31 décembre, a tout changé : Merkel a fait prévaloir l’intérêt général européen, non seulement avant celui de son pays, mais aussi parfois à son encontre.

Son bilan est impressionnant : mutualisation d’une partie des dettes nationales nées de la pandémie de coronavirus via la création d’un fonds de relance de 750 milliards d’euros, adoption du cadre financier pluriannuel 2021-2027 de 1 090 milliards d’euros, objectifs climatiques revus à la hausse (réduction des gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 contre 40 % auparavant), versement des subventions européennes soumis au respect de l’Etat de droit, traité commercial avec le Royaume-Uni et, in extremis, accord d’investissement UE-Chine. «Angela Merkel s’est concentrée sur les grands dossiers politiques, ceux qui nécessitaient une décision urgente, et a délaissé le tout-venant communautaire, c’est-à-dire les questions techniques qui sont difficiles et pénibles, ou ceux qui risquaient de diviser les Européens pour un bénéfice réduit, comme le paquet migratoire», analyse un diplomate européen.

En fait, la chancelière s’est révélée avec la crise du coronavirus. Car, jusqu’en mars, l’Allemagne campait sur sa position traditionnelle depuis la fin du XXe siècle et le virage opéré par le social-démocrate Gerhard Schröder : germanique au pire, euroréticente au mieux. Emmanuel Macron, qui s’est fait élire en 2017 sur la promesse d’un renouveau européen, a d’ailleurs sans cesse buté sur le refus allemand d’aller plus avant dans l’intégration, son agitation europhile agaçant fortement Berlin.

«Admiratif»

Mais deux évènements ont tout changé : les politiques sanitaires adoptées pour lutter contre le Covid-19, qui ont fait plonger les économies européennes dans une récession sans précédent en temps de paix et l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 5 mai, qui menaçait de déclarer inconstitutionnel les rachats de dettes publiques mis en œuvre depuis 2012 par la Banque centrale européenne pour soutenir une zone euro secouée par de multiples crises.

A ce moment-là, Merkel a pris conscience que la monnaie unique risquait d’exploser en plein vol sans un soutien budgétaire européen massif passant par un endettement commun destiné à prendre le relais de la politique monétaire afin de satisfaire ses juges constitutionnels. Or l’Allemagne souffrirait de la disparition de l’euro. Alors que jusque-là Merkel affirmait qu’il faudrait lui «passer sur le corps» pour créer une dette européenne, le 13 mai, elle annonçait qu’elle se ralliait à la proposition française d’un fonds de relance de 500 milliards d’euros alimenté par une dette commune.

«Son virage est prodigieux, je suis très admiratif», s’extasie Jean-Louis Bourlanges, le vice-président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. «Pour la première fois, la chancelière a agi en anticipant au lieu d’attendre la dernière minute au prix, comme en Grèce, de souffrances qui auraient pu être évitées», note un haut fonctionnaire européen.

Opportunité

«La chancelière a su passer d’une présidence semestrielle normale qui l’inspirait peu à la gestion de l’état d’urgence européen. Et là, elle a excellé», reconnaît une source européenne. «L’effet présidence a aussi joué : la chancelière ne serait peut-être pas comportée comme elle l’a fait si elle ne l’avait pas eu. En outre, cela lui a permis de vendre en Allemagne des compromis, sur le fonds de relance ou sur le climat, qui auraient eu du mal à passer en temps normal», analyse Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes.

Merkel a joué sa partition en consultant non-stop sa coalition et ses ministres et en usant de sa bonne relation avec le chef de l’Etat français et de son influence au sein de sa famille politique européenne (Parti populaire européen), mais aussi en bonne entente avec Charles Michel, le président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission.

Ainsi, son entregent a fait merveille pour venir à bout des réticences du «club des radins» (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède) qui menaçait de poser son veto au fonds de relance, puis de la Hongrie et de la Pologne qui ne voulaient pas entendre parler de la conditionnalité «Etat de droit».

De même, sur le Brexit, qu’elle ne gérait pas en direct, la répartition des rôles entre Paris (le bad cop) et Berlin (le good cop) a fonctionné pour arracher un accord à la dernière minute. Merkel a aussi saisi la fenêtre d’opportunité de l’interrègne américain pour engranger un accord d’investissement avec la Chine dès que Pékin a fait de très timides concessions en matière de travail forcé : «Tout le système allemand s’est mis en marche pour qu’on conclue avant le 31 décembre», reconnaît une source européenne. Un sans-faute de bout en bout.

Photo: AFP

N.B.: article paru le 4 janvier