Les Britanniques et les Européens, sans doute gagnés par l'esprit de Noël, sont enfin parvenus jeudi 24 décembre à 15 h 30 à un accord sur la relation commerciale qui va les lier à partir du 1er janvier 2021, date de la sortie du Royaume-Uni du marché unique. Il aura fallu dix mois de négociations particulièrement âpres, après sa sortie politique de l'Union le 31 janvier, pour parvenir in extremis à ce volumineux traité ( plus de 1200 pages ) visant à limiter les dégâts du Brexit. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a affiché son soulagement de se débarrasser d'un dossier qui empoisonne la vie des Européens depuis le 23 juin 2016, date à laquelle les Britanniques ont choisi par référendum de quitter l'Union : «Le moment est venu de laisser le Brexit derrière nous. L'avenir est en Europe.»
Sable
Les deux parties avaient intérêt à un succès pour éviter d’ajouter une poignée de sable à la tonne qui va être déversée dans les relations commerciales entre les deux rives de la Manche lorsque le Royaume-Uni sortira du marché intérieur. C’est en effet à ce moment-là qu’aura lieu 80 % du choc économique, accord ou pas accord : ce sera la fin de la libre circulation des personnes, des marchandises, des données, des capitaux et des services (y compris financiers), etc. Autrement dit, les contrôles douaniers (sécurité des produits, normes sanitaires et phytosanitaires), les documents administratifs, les demandes d’autorisation, etc., vont ralentir et surtout renchérir les échanges. Mais en l’absence d’accord commercial, les deux parties auraient ajouté droits de douane et quotas d’importation sur les produits agricoles et industriels. Et, dans ce cas, c’est Londres qui aurait eu le plus à perdre, son premier marché extérieur, et de loin, étant l’Union européenne (50 % de ses exportations et d’importations), alors que l’inverse n’est pas vrai (seulement 8 % des exportations)…
Or, pour accorder l’accès au marché intérieur à droit zéro, ce qu’elle n’a jusqu’ici jamais fait, l’Union exigeait que les conditions de concurrence («level playing field») soient équivalentes. Ce qui veut dire que Londres devait s’engager à ne pas avoir de normes techniques, environnementales, sociales ou encore fiscales moins contraignantes que celle de l’Union, en clair à ne pas pratiquer une dérégulation tous azimuts. De même, il n’était pas question qu’il ne respecte pas le droit européen des aides d’Etat afin d’éviter tout dumping. Or, pour le gouvernement britannique, emprisonné dans son idéologie souverainiste («take back control»), c’était exclu, car il estimait que cela l’aurait contraint à s’aligner automatiquement sur les normes communautaires.
Non-régression
Finalement, les Britanniques ont accepté une clause de «non-régression» par rapport au droit communautaire existant en 2020, ce qui écarte le spectre d'un «Singapour sur Tamise», et se sont engagés à suivre les progrès européens sans pour autant les transcrire automatiquement. S'ils ne le font pas, des mesures de «rééquilibrage» sont prévues, c'est-à-dire que l'Union pourra imposer des droits de douane et/ou des quotas afin de ne pas souffrir de ces moindres contraintes pesant sur l'industrie britannique. Par exemple, si le Royaume-Uni reste au niveau de 2020 en matière de normes contre la pollution chimique pendant que l'Union adopte des législations de plus en plus contraignantes, cela avantagera certains produits britanniques. Dans ce cas, ce sera la fin de l'accès à droit zéro pour toute une catégorie de marchandises, sauf si Londres comble son écart. Ce sera la même chose en matière d'aides d'Etat. «La liberté réglementaire du Royaume-Uni est donc facialement préservée, mais il prend le risque de se voir imposer des droits de douane et des quotas s'il l'utilise», commente un diplomate européen. Pour lui, cet accord pourra même servir de modèle lors de négociations commerciales avec d'autres pays.
Dernière minute
Les discussions ont achoppé jusqu'au bout sur un autre dossier tout aussi symbolique pour les souverainistes britanniques, celui de l'accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques. Le gouvernement de Boris Johnson voulait diminuer les droits de pêche des Européens à hauteur de 60 % en valeur et les renégocier chaque année. Une demande un peu folle sachant que 80 % du poisson pêché par les marins britanniques est exporté vers l'Union. Au final, les quotas européens vont diminuer d'ici 2026 de 25 % en valeur (à partir de 650 millions d'euros, dont 160 pour les pêcheurs français). Ensuite, comme le voulait Londres, il faudra renégocier chaque année l'accès aux eaux britanniques : «Ce n'est pas une bonne nouvelle pour nos pêcheurs, même si le budget européen viendra les aider, reconnaît un responsable français. Mais le lien entre la pêche et l'ensemble de l'accord est maintenu : si Londres va trop loin, nous pourrons rétablir droits de douane et quotas sur toutes les marchandises.»
L’accord aurait pu être conclu dès le week-end dernier si les Britanniques n’avaient pas ajouté des demandes de dernière minute jugées inacceptables par les Européens. Ainsi, ils ont essayé obtenir d’être exonérés – pour l’automobile et les produits chimiques – de la règle dite du «pays d’origine», qui impose qu’une majorité de la valeur ajoutée d’une marchandise soit produite au Royaume-Uni pour bénéficier d’un régime à droit zéro.
«Tout maintenant va être dans la mise en œuvre de ce traité», qui doit encore être ratifié par le Parlement européen, reconnaît un diplomate européen rendu prudent pas la tentative de Londres, finalement avortée, de ne pas respecter la partie de l’accord de retrait concernant l’Irlande du Nord… Même si tout un système d’évaluation du respect de l’accord, de règlement des différends et de mesures de rétorsion est mis en place, personne n’exclut rien tant que le fantasque Boris Johnson reste à la tête du Royaume-Uni.
Photo: AFP
N.B.: article paru le 24 décembre