Le souci du succès, pour un designer, est de voir son travail entier réduit à une série de belles chaises. Ce malentendu-là accompagne la réussite et la postérité de Charles et Ray Eames, respectivement disparus en 1978 et 1988. Si le couple de designers américains a su imaginer des ensembles travaillés, synthétisant une sorte de «californian way of life», des décors décontractés où pourraient évoluer des personnages de Joan Didion, il serait idiot de ne voir dans leur corpus qu'une simple esthétique du «joli». La dimension politique des Eames n'est pas un à-côté, c'est une colonne structurelle, comme le prouve Beatriz Colomina dans le passionnant Cernés par les images, publié aux vigoureuses éditions B2.
L'historienne de l'architecture de l'Université de Princeton décrit la manière dont les Eames ont travaillé à «l'architecture de l'après-Spoutnik». Elle s'attarde sur une date de la carrière du tandem : 1959. A Moscou, l'Exposition Nationale Américaine fait des réfrigérateurs et des machines à laver d'alors les moteurs d'une opération destinée à montrer aux Soviétiques les bienfaits du capitalisme. Les Eames sont chargés de réaliser un film, Glimpses of the USA, projeté sous un immense dôme conçu par Buckminster Fuller. L'analyse de Beatriz Colomina a l'intérêt de mettre l'accent sur la production filmique du couple de designers, et de l'intégrer dans une analyse générale de la ques