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Libération
DÉSINTOX

L'ONU et la Commission européenne organisent-elles la submersion migratoire du continent ?

Marine Le Pen dénonce la volonté de ces deux instances de planifier une immigration massive dans les années à venir. Attention, gros raccourcis.
Arrivée de Marine Le Pen à l' ouverture des universités d'été du Front national, parc Chanot à Marseille, le 5 septembre. (Photo Laurent Troude)
publié le 18 septembre 2015 à 18h42
(mis à jour le 18 septembre 2015 à 18h49)

INTOX. Résumons : l'afflux de réfugiés que connaît l'Europe aujourd'hui n'est qu'une vaguelette par rapport à ce qui se trame, avec l'aval des technocrates des institutions internationales. Depuis quelques semaines, Marine Le Pen donne des chiffres colossaux : 50 millions,  120 millions, 150 millions. Comme le nombre d'immigrés que l'ONU ou la Commission européenne concourraient à faire venir en Europe dans les décennies à venir.

Le 4 septembre sur RTL, Marine Le Pen déclare : «L'Union européenne nous avait dit dans les années 50 qu'elle voulait qu'on accueille 150 millions d'étrangers. C'est une politique qui est portée par l'Union européenne depuis des décennies.»

(A partir de 3 mn 45)

Deux jours plus tard, lors du discours de clôture des universités d'été du FN, elle remet le sujet sur le tapis, avec d'autres chiffres et d'autres dates, mais une même idée : «Et d'ailleurs cette submersion migratoire n'est-elle pas exactement ce que souhaite la Commission européenne ? Le Commissaire européen aux Affaires intérieures n'a-t-il pas, il y a quelques jours encore devant notre collègue Gilles Lebreton, avoué que la Commission souhaitait l'installation de 50 millions d'immigrés dans l'Union européenne à l'horizon 2060 ?»

Et enfin, elle ajoute, lors d'une conférence de presse commune tenue à Strasbourg avec ses partenaires européens, le 9 septembre : «J'accuse l'ONU, de concert avec la Commission européenne, d'organiser sciemment la submersion migratoire de l'Europe. Faut-il rappeler que les technocrates de l'ONU demandent l'accueil de 120 millions d'immigrés extra-européens sur notre continent et que le commissaire européen aux Affaires intérieures réclamait il y a quelques jours encore que l'Union européenne accueille 50 millions d'immigrés d'ici 2060.»

(A partir de 2 mn 7s)

DÉSINTOX. Commençons par la déclaration sur RTL. Les archivistes de Désintox n'ont pas trouvé de preuve que l'UE (ou plutôt la CEE, l'UE étant créée en 1993) appelle de ses voeux l'arrivée de 160 millions d'immigrés dans les années 50. On peut douter que cette preuve existe. Marine Le Pen ne semble pas l'avoir. Contestée dans son affirmation par les journalistes de l'Œil du 20 heures, elle a répliqué en dégotant… un article de Libération parlant de tout autre chose.

L'article de Libé n'évoque nullement l'UE, ni les années 50. Mais un rapport de l'ONU datant de 2000. C'est à ce document que Marine Le Pen semble faire allusion dans sa conférence de presse à Strasbourg quand elle évoque le projet de l'ONU de faire venir 120 millions d'étrangers en Europe. Le rapport en question n'étaye guère l'idée d'un rôle actif de l'ONU dans la submersion migratoire de l'Europe. Le document a quinze ans. Et il n'a surtout rien à voir avec des recommandations. Il s'agit d'un état des lieux démographique aboutissant à l'idée qu'il manquerait 160 millions de travailleurs à l'horizon 2025. On lit également dans la bouche d'un des auteurs, le démographe français Joseph-Alfred Grinblat : «Il est bien sûr tout à fait irréaliste d'imaginer qu'on pourra parer au vieillissement de la population par l'immigration.» 

Le raccourci est à peu près le même concernant la volonté supposée de la Commission européenne de faire venir 50 millions d'immigrés, même si les documents auxquels renvoie le FN sont moins datés. Le 10 juin, l'eurodéputé frontiste Gilles Lebreton publie un communiqué ainsi titré : «50 millions d'immigrés : jusqu'où ira la folie de la Commision de Bruxelles ?»

On y lit que le commissaire européen aux Affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, «a avancé qu'il voulait développer l'immigration légale dans toute l'Europe pour faire face à son déficit démographique : jusqu'à quelle hauteur ? 17 millions comme les Verts ? Non : 50 millions à l'horizon 2060 !»

Dans son allocution le 8 juin, Dimitris Avramopoulos disait exactement ceci : «On sait tous que l'Europe est un continent qui vieillit. Sans immigration, la population active européenne déclinerait de plus de 20 millions dans les quinze années à venir. Et d'ici 2060, la population active diminuerait de 10%, c'est-à-dire de 50 millions.»

La Commission n’a jamais caché son analyse selon laquelle les pays membres vont avoir des besoins croissants de main-d’œuvre qualifiée, seront confrontés à un déficit démographique, et devront notamment s’appuyer sur l’immigration économique pour répondre à ces défis. Mais la conclusion qu’en tire le FN est très excessive, pour deux raisons.

D'abord parce qu'il n'est pas question de combler entièrement ce déficit d'actifs par un afflux d'immigrés. C'est écrit noir sur blanc dans un document de la Commission que le FN brandit pourtant sur Twitter comme une nouvelle preuve :

«Le fait est que, d’ici 2050, en l’absence, peu probable, d’immigration et à taux d’activité constant, la population active de l’UE diminuerait d’environ 68 millions de travailleurs. Etant donné que tous les immigrés ne rejoignent pas la population active, il faudrait un gain net de 100 millions de personnes environ pour combler le déficit. Objectivement, un afflux net aussi important au cours des quarante prochaines années n’est ni probable, ni nécessairement souhaitable. Toutefois, le recours à une main-d’œuvre étrangère fera partie de la solution à apporter aux pénuries futures de main-d’œuvre et de compétences que connaîtra l’Europe.»

Enfin et surtout, la Commission européenne n'a pas compétence en matière d'admission au séjour dans les Etats membres. Ce qui est écrit très clairement, également, dans cette communication de la Commission au Parlement : «Les Etats membres conserveront la compétence exclusive lorsqu'il s'agira de décider du volume des admissions de ressortissants de pays tiers qui émigrent pour chercher du travail.»

Ce qui devrait permettre de rassurer un peu l’auditoire du FN. En supposant bien sûr que le but du FN soit de le rassurer.