INTOX. Un titre mal compris, un article pas (ou mal lu), et voilà le FN qui se fait un petit coup de chaud matinal à propos du Qatar et des attentats. Sur Radio Classique, Marine Le Pen s'indigne : «le prédicateur Al-Qaradawi vient d'annoncer aujourd'hui qu'il félicitait ce qu'il appelle des opérations martyrs!» Sur Twitter, les lieutenants de la présidente du FN embrayent illico. Nicolas Bay dénonce le fait que le prédicateur, télévangéliste star de la chaîne Al-Jezira, parle d'«opérations martyrs» à propos des attentats de Paris. Florian Philippot en profite pour exiger que cessent les relations de la France avec le Qatar.
DESINTOX. Théologien de référence des Frères musulmans, réfugié au Qatar depuis que l'Egypte a émis un mandat d'arrêt contre lui en 2014, Al-Qaradawi est assurément un prédicateur controversé, connu pour ses appels au jihad contre les juifs et ses appels aux meurtres des alaouites (minorité religieuse à laquelle appartient le clan Al-Assad) pendant le conflit syrien. Mais le fait est que s'il s'est exprimé sur les attentats de Paris, c'est pour les condamner.
Le 14 novembre, l'Union internationale des savants musulmans qu'il préside a publié un communiqué qui «condamne fermement ces actions criminelles et terroristes qui ont eu lieu hier dans la capitale française, Paris, et appelle à la poursuite des responsables quels qu'ils soient, et de les amener à la justice pour les punir à l'égard de ce crime odieux commis». Le texte est notamment signé par Al-Qaradawi, lequel avait déjà condamné les attentats de Charlie Hebdo.
Comment expliquer alors la poussée de fièvre du FN ? Probablement par la lecture hâtive d'un article (ou plus probablement du titre d'un article) de MondAfrique, site spécialisé, publié mercredi et titré «le prédicateur qatari Youssef Qaradawi approuve les attentats-suicides». Sauf qu'il ne s'agit pas des attentats parisiens comme le titre au présent peut le laisser penser. Au deuxième paragraphe de l'article que les responsables du FN n'ont visiblement pas lu, il est écrit que le prédicateur a précisément évité toute provocation à propos des attentats parisiens.
«Le théologien Youssef al-Qaradawi s’est montré discret depuis les derniers attentats parisiens. Deux raisons à cela : il a fêté en septembre ses 89 ans et le pouvoir à Doha lui conseille depuis quelques mois de mettre la pédale douce.»
Ce n'est que plus tard dans l'article que le journaliste aborde la question des attentats-suicides, effectivement justifiés dans le passé par le prédicateur. Youssef al-Qaradawi y est cité, disant qu'«il ne s'agit pas d'attentats-suicides, mais d'opérations-martyrs», considérant que ces opérations «sont l'arme que Dieu a donnée aux pauvres pour combattre les forts. C'est une compensation divine». Mais la déclaration (dont la date n'est pas précisée dans l'article) n'est pas datée de la veille, contrairement à ce qu'affirme Marine Le Pen, et ne vise pas les attentats de Paris, comme le suggère la présidente du FN et comme l'a tweeté explicitement Nicolas Bay. Prononcée en avril 2001 dans le journal qatari Al-Raya, cette phrase visait à justifier les attentats-suicides palestiniens. Le prédicateur l'a ensuite répétée plusieurs fois, notamment en 2004 dans une interview à la BBC.
Contacté par Désintox, Nicolas Beau, directeur de MondAfrique, nous a fait savoir que le titre de l'article avait été corrigé, pour éviter la confusion dans laquelle est tombé le FN. L'article est désormais titré :«Le prédicateur Qarawadi avait prôné des attentats dans le monde entier».