Mercredi, les candidats aux élections régionales se sont livrés au traditionnel débat d’entre-deux tours. L’occasion pour Marine Le Pen et Xavier Bertrand, les deux candidats à la tête de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, de s’écharper. Désintox joue les arbitres.
Intox
Marine Le Pen : «Par exemple, M. Bertrand, vous mettez dans votre profession de foi – et là vous allez me répondre car je pense que vous allez être gêné de votre mensonge –, vous mettez : "L’Europe verse 35 000 euros par mois à Marine Le Pen."»
Xavier Bertrand : «Ecoutez, c’est facile de vérifier. Pour celles et ceux qui nous écoutent, c’est l’indemnité parlementaire, ce sont les frais parlementaires et les collaborateurs parlementaires.»
Désintox
On peut effectivement lire dans la profession de foi du candidat LR que «l'Europe verse 35 000 euros à Madame Le Pen». Pour justifier le chiffre, Xavier Bertrand cite l'indemnité parlementaire (6 250,37 euros nets), les «frais parlementaires» (4 320 euros pour la gestion des bureaux des députés). On peut ajouter à cela une indemnité forfaitaire de 306 euros par jour pour couvrir «l'ensemble des autres frais auxquels font face les députés lors des périodes d'activités parlementaires», que ne mentionnent ni Xavier Bertrand lors du débat, ni son équipe de campagne lorsque Libération la contacte. A raison de quatre réunions plénières du Parlement, d'une réunion mensuelle de la commission du commerce international à laquelle elle appartient et de quatre réunions de la Conférence des présidents (hebdomadaire), Marine Le Pen peut toucher 2 754 euros supplémentaires. Ce qui nous amène à 13 324,37 euros. Loin des 35 000.
Pour arriver à la somme évoquée, Bertrand ajoute en fait (comme il le précise lors du débat… mais pas dans sa profession de foi) les sommes versées pour rémunération des «collaborateurs parlementaires». Chaque député dispose en effet pour l'embauche d'attachés parlementaires, d'un maximum de 21 379 euros. C'est donc uniquement en comptabilisant cette somme (laquelle «n'est pas directement versé aux députés», précise noir sur blanc le Parlement européen) qu'on arrive à 34 703,37 euros.
Intox
Marine Le Pen (interrogée sur la manière de mettre en place la préférence régionale pour les entreprises) : «Il y a un nouveau critère, qui vient d’être entériné par la cour de justice, et c’est fondamental, et c’est le critère de salaire minimum. Ce qui permettra d’éviter le recours soit par des entreprises soit par des sous traitants à des travailleurs à bas coût détachés.»
Désintox
Marine Le Pen a coutume de raconter n'importe quoi sur les travailleurs détachés. Et en donne un nouvel exemple. La Cour de justice de l'UE a effectivement rendu en novembre un arrêt estimant que la passation d'un marché public peut être subordonnée à un salaire minimum. En juillet 2013, la ville allemande de Landau avait exclu une entreprise allemande d'une procédure de marché public sur les services postaux, l'entreprise ne s'étant pas engagée comme exigé par la ville à respecter le salaire minimal fixé par le Land de Rhénanie-Palatinat dans le cadre des marchés publics. Mais la présidente du FN raconte n'importe quoi en affirmant que la décision de la Cour – qui ne concernait pas un cas de détachement de travailleurs – permettra enfin de lutter contre l'emploi de travailleurs à bas coût détachés… suggérant que ces derniers étaient jusqu'à présent rémunérés sous le salaire minimum.
Marine Le Pen fait mine d’ignorer que la directive de 1996 sur le travail détaché exige déjà le respect du salaire minimum du pays d’accueil. C’était même l’objet du texte, devant les risques de dumping social lié au premier élargissement de l’UE, que d’imposer un noyau de règles, au premier rang desquelles le respect de la rémunération minimale en vigueur dans le pays d’accueil. A tel point que la Cour de justice justifie même sa décision… en expliquant que l’obligation fixée par la ville de Landau est compatible avec la directive sur le détachement de travailleurs.
Preuve que si l’Europe est un fonds de commerce du FN, c’est aussi un inépuisable réservoir à intox.
Intox
Xavier Bertrand (à propos de la préférence régionale pour les entreprises) : «Votre profession de foi a été confiée à une société qui n’est pas dans la région mais qui est en région parisienne.»
Marine Le pen : «Eh bien, vous vous trompez Monsieur, l’imprimerie est à Boulogne.»
"L'imprimerie de ma profession de foi est à Boulogne-sur-Mer." #RégionalesNPDCP
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) December 9, 2015
Désintox
Au verso de la profession de foi de Marine Le Pen, on distingue une inscription : «Imprimé par RCS 812 867 711». C'est sans doute ce qui a mis la puce à l'oreille de Xavier Bertrand car ce numéro SIREN correspond aux Presses de France, une société par ailleurs très controversée mais bel et bien établie à Paris. Sauf que comme confirmé à Libération, les professions de foi ont bien été imprimées à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).
Intox
Marine Le Pen : «Je voudrais rappeler que l'UMP [sic] a voté les quotas de migrants il y a un mois.»
Xavier Bertrand : «Mensonge encore !»
Désintox
La candidate frontiste a répondu à la proposition de Xavier Bertrand de faire appel à l'armée à Calais «pour éviter un nouveau drame» en rappelant que les eurodéputés LR ont «voté les quotas de migrants». Si Marine Le Pen n'est pas très rigoureuse en termes de chronologie (les deux votes du Parlement européen concernant la répartition des demandeurs d'asile entre les pays de l'Union européenne – les fameux «quotas» – ont eu lieu le 10 et le 17 septembre, soit il y a trois mois et pas un), son affirmation n'a rien du mensonge que dénonce Xavier Bertrand. Les deux fois, la majorité des eurodéputés LR (anciennement UMP) présents lors des votes se sont effectivement prononcés pour les résolutions approuvant cette répartition.
Intox
Marine Le Pen : «Une situation qui est honteuse pour la France, qui consiste à laisser les habitants de Calais dans une telle situation. Habitants de Calais, dont je vous signale que Madame [Natacha] Bouchart, la tête de liste de M. Bertrand, leur adresse maintenant des laissez-passer, […] comme pendant la guerre. Pardon, c’est de la folie furieuse !»
Désintox
Exhibant un document face aux journalistes présents et à la caméra, Marine Le Pen a dénoncé la jungle de Calais, affirmant que la situation était telle que la maire (LR) Natacha Bouchart en était rendue à distribuer des laissez-passer aux riverains de sa ville.
Un peu de vrai, un peu de faux. Et une louche d'exagération. Le laissez-passer brandi par Marine Le Pen est authentique… mais n'a pas été émis par la maire de Calais (qui a d'ailleurs annoncé qu'elle allait porter plainte contre Marine Le Pen pour diffamation). Le document a en fait été émis par la sous-préfecture de Calais et signé par le sous-préfet Denis Gaudin. Contactée par Libération, la préfète du Pas-de-Calais Fabienne Buccio confirme que le «laissez-passer» est authentique.
Mais il est un peu excessif d'affirmer que de tels documents sont désormais distribués aux «habitants de Calais» puisque seulement sept individus seraient concernés, à la demande d'une seule riveraine de la jungle, passablement excédée et par ailleurs en guerre ouverte avec la mairie. «Mme Nadine Guerlach est la seule Calaisienne qui a demandé un papier pour pouvoir prouver plus facilement qu'elle habitait là aux agents de police qui patrouillent aux alentours du camp et ne sont pas toujours les mêmes», explique la préfète.
Les six autres personnes concernées sont la fille de Nadine Guerlach, son gendre et les salariés de ce dernier. «On porte une attention particulière aux riverains proches du camp [de migrants], explique encore Fabienne Buccio. On essaie de faciliter la vie des gens.»
Intox
Xavier Bertrand : «La première décision du maire de Villers-Cotterêts, Front national, a été de s’augmenter son indemnité de maire de 15%.»
Marine Le Pen : «C’est un mensonge.»
Désintox
Lorsque Xavier Bertrand accuse le maire de Villers-Cotterêts (Aisne) d’avoir augmenté son indemnité dès le début de son mandat, Marine Le Pen nie sans qu’on sache bien si le mensonge réside dans l’augmentation ou dans le fait que cela ait été la première décision de Franck Briffaut, l’édile en question.
Manque de pot, les deux sont vrais. «Oui, je me suis augmenté», avait d'ailleurs reconnu Briffaut, qui a fait passer son salaire de 3 304 à 3 791,96 euros, soit une hausse de 14,8%. Et la décision est intervenue lors du premier conseil municipal, le 17 avril 2014 soit dix-huit jours après le second tour des élections municipales qui ont vu Franck Briffaut remporter la mairie de Villers-Cotterêts. Le registre des délibérations évoque en outre clairement une «majoration de 15% au titre de l'article R 2123-23 du code général des collectivités territoriales».