INTOX. C'est moi le père! Non c'est moi! Si la volonté de l'exécutif d'étendre la déchéance de nationalité consterne une partie de la gauche, elle ravit la droite et l'extrême droite, qui se félicitent d'une victoire de leurs idées. Mais des idées de qui, précisément? Le FN et LR se déchirent sur le sujet. Ce mercredi matin, sur RTL, Brice Hortefeux déclarait: «Nous sommes pour cette mesure, nous sommes les tout premiers à l'avoir proposée.» Même affirmation sur LCP, la semaine dernière: «Il y a un élément essentiel, c'est que la déchéance de la nationalité, nous sommes les premiers à l'avoir proposée, et donc nous la voterons.»
A partir de 2mn40 :
[ Questions d’info : Brice Hortefeux, ancien... ]
par LCP
Un brevet de paternité que revendique aussi le FN de Florian Philippot, qui déclarait, le 30 décembre sur France Info: «C'est notre idée depuis des années, tout le monde le sait. Quand Marine Le Pen a été reçue par François Hollande et Manuel Valls après les attentats du 13 Novembre, on a fait cette demande de la déchéance de la nationalité. Et je me réjouis que le président de la République ait repris cette mesure. Je ne vais pas jusqu'à dire que Marine Le pen décide et que François Hollande s'exécute, mais au bout d'un moment, quand on reprend des vielles idées, des anciennes idées, importantes, du Front national, je m'en réjouis car je suis dans une opposition constructive.»
[ Philippot (FN) : la déchéance de nationalité... ]
par FranceInfo
DESINTOX. Depuis 1998, la déchéance de nationalité, fixée par la loi Guigou, était limitée à un personne ayant acquis la nationalité française, binationale, et s'étant rendue coupable d'un des quatre faits suivants:
1) Condamnation pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme
2) Condamnation pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal
3) Condamnation pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national
4) S'être livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France
Depuis une dizaine d'années, droite et extrême droite demandent régulièrement à aller au delà. Mais n'en déplaise à Hortefeux, c'est le FN qui a commencé. Le parti frontiste a été le premier à militer pour une extension des déchéances à des actes commun de délinquance. Le programme de Jean-Marie Le Pen en 2007 prévoyait ainsi une déchéance de la nationalité possible pour des naturalisations acquises depuis moins de dix ans et dans le cas de crime ou délit grave ayant entraîné une condamnation à plus de six mois de prison. Soit une version considérablement durcie de ce qui prévalait avant 1998, à savoir la possibilité de déchoir une personne coupable de crime et condamnée à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement.
Voilà ce qu'on lisait dans le projet du FN de 2007:
En mai 2011, dans La Croix, Marine Le Pen reprenait, de manière un peu floue, cette proposition de son père: «Toute personne qui, dans les dix ans où elle a obtenu la nationalité française, commet des délits ou des crimes doit pouvoir se voir retirer cette nationalité.»
Quelques mois plus tard, Marine Le Pen livrait sur France 5 une nouvelle version de sa proposition, évoquant cette fois une «nationalité à points» dont les naturalisés pourraient être déchus en cas de comportement répréhensible pendant une période de dix ans suivant l'acquisition de la nationalité: «Au moment de l'acquisition de la nationalité, il faut une sorte de nationalité à points pendant une durée de dix années. C'est à dire que pendant dix ans, on peut perdre la nationalité française, soit si on a commis des délits graves en récidive, soit un crime. Il y a d'autres critères, le fait de ne pas se soumettre aux valeurs, aux principe de vie, aux grandes valeurs françaises comme la laïcité, l'égalité homme-femme.»
Pour autant, la déchéance (à points ou pas) ne figurait pas dans le projet présidentiel de Marine Le Pen pour 2012 :
Ces derniers jours, le FN, par la voix de Florian Philippot notamment, a défendu une version un peu plus light de cette déchéance, ne retenant plus l'idée formulée par Jean-Marie Le Pen puis Marine Le Pen d'une déchéance pour les auteur de délits, mais seulement – outre les faits de terrorisme et de djihadisme – pour les auteurs de crimes de sang.
L'UMP a attendu 2010 pour enfourcher ce thème, lors du fameux discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010 :
«Nous allons réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité française. Je prends mes responsabilités. La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique.»
On est là a priori sur une extension moins large que celle souhaitée par le FN, puisque limitée au meurtre d'un dépositaire de l'autorité publique. Mais dans la foulée, le ministère de l'Intérieur d'alors Brice Hortefeux suggérait d'aller bien au delà du motif invoqué par Nicolas Sarkozy: «des déchéances de nationalité doivent pouvoir être prononcées aussi en cas d'appel au travail illégal, d'excision, de traite d'êtres humains ou d'actes de délinquance grave», déclare-t-il dans une interview au Parisien. Et de promettre que ces nouvelles dispositions figureront dans le projet de loi sur l'immigration présenté «en septembre à l'Assemblée».
Finalement, ledit projet de loi ne concernera que la déchéance de la nationalité française des citoyens naturalisés depuis moins de dix ans ayant causé la mort d’une personne dépositaire de l’autorité publique. Une mesure votée par l'Assemblée nationale... avant d'être torpillée par le Sénat (les centristes se joignant à la gauche), puis abandonnée.
Au bout du compte, c'est bien le FN qui a été le premier à revendiquer une modification de la loi, suivi par l'UMP. Pour autant, cela n'aurait guère de sens pour le parti de Marine Le Pen de revendiquer la paternité de la déchéance de nationalité à la sauce Hollande, qui n'a que peu à voir avec les demandes émises par le FN depuis 2007.
Le principale modification de la réforme Hollande consiste en effet en une extension de la déchéance aux nés français (et non plus aux seuls naturalisés), ce que le FN n'a jamais réclamé, ni en 2007, ni en 2012. A l'inverse, le parti frontiste milite de longue date pour un élargissement des motifs de déchéance, alors que la réforme de la gauche va aller en sens inverse: la déchéance de nationalité est aujourd'hui possible pour les crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou constituant un acte de terrorisme, mais devrait après la réforme être restreinte aux seuls crimes constituant une atteinte à la vie de la Nation (et non plus aux délits), conformément à l'avis du Conseil d'Etat. Bref, une mesure essentiellement symbolique, là où le FN demande depuis 2007 une réforme «de masse».