INTOX. L'espérance de vie à la naissance a diminué en 2015. Selon l'Insee, la baisse s'explique par des phénomènes ponctuels : l'épidémie de grippe de grande ampleur et la canicule ont augmenté le taux de mortalité. Mais pour certains spécialistes, croire à cette explication relèverait de l'angélisme. Cette argumentation masquerait un autre phénomène : une crise sanitaire structurelle (due à la hausse de maladies chroniques causées par l'environnement) serait la véritable explication à la baisse de l'espérance de vie. Des causes cachées pour des raisons plus ou moins politiques… suggèrent certains.
Dès la publication du bilan de l'Insee, le docteur Gérald Kierzek dénonçait sur Europe 1 la simplicité de l'argument de l'institut statistique : «C'est un peu facile d'accuser la grippe», s'agaçait-il. Rejoint par Laurent Chevallier qui accusait dans le Point la hausse des maladies chroniques : «Ces pathologies sont autant de menaces pour l'espérance de vie qui ne pourra malheureusement, si rien n'est entrepris, que continuer à diminuer.» Dans Reporterre, le président du Réseau environnement santé est encore plus virulent. Il accuse l'Insee d'avoir chaussé des «lunettes roses» et explique que la baisse de l'espérance de vie n'est rien d'autre que la «conséquence de la situation de crise sanitaire dans laquelle la France s'enfonce depuis plusieurs années en raison de l'explosion des maladies chroniques».
DÉSINTOX. Problème : quand bien même cette corrélation existerait, l'Insee, pas plus que ces commentateurs, n'a guère les moyens de l'établir dans son bilan démographique annuel.
Si l'Insee ne peut pas parler de crise sanitaire, c'est d'une part parce que l'organisme n'a pas vocation à analyser des données d'un point de vue médical. C'est aussi et surtout parce que l'on n'a pas encore suffisamment de recul pour analyser les données de 2015. En moyenne, l'examen des causes de décès prend deux ans. Le CépiDC (Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès) de l'Inserm, qui recense toutes les causes médicales de décès, ne dispose de statistiques que jusqu'en 2013.
A chaque fois qu'une personne meurt en France, un médecin rédige un certificat de décès envoyé à la mairie. La partie médicale de ce certificat est alors transmise au CépiDC tandis qu'un avis d'état civil est envoyé à l'Insee. Ainsi, le CépiDC connaît les causes du décès mais pas l'identité de la personne décédée tandis que l'Insee connaît son identité mais pas les causes de son décès. L'Insee transmet environ 80% de ces données à l'Institut national de veille sanitaire (INVS) qui les analysera aussi pour les publier dans un bulletin hebdomadaire recensant notamment le nombre de décès par classe d'âge.
Pas d’épidémie de maladies chroniques
Oui, mais pourquoi alors l'Insee, qui ne s'aventure pas du côté des explications médicales, évoque-t-elle les conséquences de l'épisode grippal ? Parce que les seuls éclaircissements que l'Insee se risque à fournir sont fondés sur la constatation d'épisodes ponctuels inhabituels, que l'Insee interprète pour formuler des hypothèses.
La méthode est simple : lorsque l'Insee constate que l'espérance de vie a diminué en 2015, l'institut statistique s'aperçoit que cette chute est due à une hausse de la mortalité dans une classe d'âge particulière (les personnes âgées) et que celle-ci est survenue sur des périodes particulières (en début d'année et cet été). Pour tenter de comprendre cette hausse, elle se réfère aux publications de l'INVS parues sur ces périodes. Celles-ci ont précisément rendu compte de l'épidémie de grippe et des épisodes caniculaires. Deux bulletins de l'INVS notent en effet que ces phénomènes ont contribué à un excès de mortalité de plus de 18 000 personnes pour la grippe et de plus de 2 000 pour la canicule. Ce qui permet à l'Insee d'en déduire que ces phénomènes (qui représentent les trois quarts des décès supplémentaires observés en 2015) ont contribué largement à la baisse de l'espérance de vie.
En clair, le procès consistant à reprocher à l'Insee de ne pas voir plus loin que ces pics de mortalité conjoncturels est donc infondé.
Le CépiDC de l'Inserm est lui en capacité de constater, avec du recul, les raisons médicales pouvant aboutir à une baisse de l'espérance de vie, et donc l'éventuelle crise sanitaire de long terme que diagnostiquent les observateurs sceptiques. Or, l'organisme ne note pas pour l'instant d'épidémie de maladies chroniques aboutissant à davantage de décès. «Depuis 2000, les principales maladies chroniques où l'on constate une augmentation du taux standardisé de décès sont le mélanome, le cancer du pancréas et le cancer du poumon chez la femme», explique le directeur du CépiDC de l'Inserm, Grégoire Rey.
Si l'on regarde par exemple le nombre de décès liés aux maladies cardiovasculaires, le constat est frappant : le nombre moyen de décès est passé de 51 396 sur la période 1981-1983 à 34 146 trente ans plus tard, entre 2011 et 2013. Le taux standardisé de mortalité a, lui, baissé de 124,6 à 47,0 décès pour 100 000 habitants.
Pour les tumeurs, on constate que ce taux diminue largement passant de 300,9 sur 1981-1983 à 229 pour 100 000 habitants en 2011-2013. Le nombre de décès par tumeur augmente pourtant : c'est le reflet de l'évolution de la pyramide des âges. La génération des baby-boomers vieillissant, il est logique qu'elle soit plus atteinte de maladies chroniques.
Bref, il est trop tôt pour prétendre affirmer que la recrudescence des maladies est la cause de la baisse de l'espérance de vie constatée en 2015.

Source : effectifs et taux standardisés pour 100 000 habitants de mortalité par tumeurs, CépiDc.
Cela ne veut pas dire que le nombre des maladies chroniques n'est pas un sujet. Celui-ci augmente effectivement, ce qui pousse certains observateurs à s'inquiéter d'une «crise sanitaire», même si cette hausse n'entraîne pas forcément de hausse des décès dus à ces pathologies. Un rapport de l'Assurance maladie en 2015 constate une hausse des pathologies chroniques. 34% des Français ont subi un soin signant l'existence d'au moins une pathologie chronique ou un traitement chronique. En 2013, le nombre de cancers a augmenté de 0,7% par rapport à 2011, celui de diabètes de 3,2% et les maladies cardiovasculaires de 3,5%. Une hausse dont les causes peuvent être diverses, selon les experts. Plusieurs rapports de l'Inserm ont notamment pointé un lien entre pesticides et cancers. Une autre explication étant également le vieillissement de la population.