Menu
Libération
Désintox

Les intox et gros raccourcis de la campagne de promotion de l'artisanat

Le Fonds national de promotion et de communication de l’artisanat a lancé une campagne qui présente l'université comme une voie de garage et rebat des clichés éculés.

Deux des affiches de la campagne du Fonds national de promotion et de communication de l’artisanat. (FNPCA)
Par
Claire Courbet
Publié le 08/06/2016 à 13h43

INTOX. Le Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat (FNPCA) a lancé une campagne de publicité, qui a pris fin mardi, pour promouvoir l'apprentissage. L'une des affiches visibles dans plusieurs grandes villes de France a secoué le monde universitaire. Son message ? «Quand la fac est finie, on cherche, quand l'apprentissage est fini, on trouve.»

Que ce soit en Bretagne, où le directeur du pôle universitaire de Quimper et le président de l'université de Bretagne occidentale ont manifesté leur mécontentement sur France Bleu, ou en Alsace, où le président de l'université de Strasbourg (Unistra) a fait part de son désaccord, selon les Dernières Nouvelles d'Alsace, la campagne de pub a fait réagir. Même chose du côté du secrétaire d'Etat chargé de l'Enseignement supérieur et de la recherche, qui a tweeté mardi son opposition à ce message.

DÉSINTOX. De fait, la situation décrite est grossièrement caricaturale. Et c'est aussi le cas pour plusieurs autres affiches.

«Quand la fac est finie on cherche, quand l’apprentissage est fini on trouve»

La fac, la voie royale vers le chômage ? Voilà un propos tout en nuance. Selon une étude du ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, les taux d'insertion des étudiants passés par la fac sont plutôt bons. Dix-huit mois après la fin de leurs études, la grande majorité des anciens étudiants à l'université diplômés en 2012 sont en activité : de 82% à 97% selon le diplôme. Les diplômés 2012 de DUT (Bac+2) sont 88% à avoir trouvé un emploi trente mois après la fin de leur formation. Les étudiants diplômés d'une licence professionnelle la même année sont un peu plus nombreux à avoir réussi leur insertion professionnelle puisqu'ils sont 92% à avoir un emploi. Le taux d'insertion des diplômés de master se trouve, lui, entre 89 et 97% selon la filière.

De plus, souligne Emmanuel Sulzer, chercheur au Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq), le message oppose la fac et l'apprentissage, or à l'université, il existe aussi des formations qui peuvent se faire en apprentissage comme une partie des licences et des masters professionnels.

«Il n’y a plus de travail en France, 80% des apprentis trouvent un CDI en trois mois»

Si les apprentis s'en sortent plutôt bien – près de deux sur trois sont embauchés à la fin de leur apprentissage, selon une étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) – tout n'est pas aussi rose que sur les affiches. Le chiffre avancé sur l'affiche est bien loin de ceux d'une étude de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), puisque ce ratio n'est atteint ni sur l'ensemble des apprentis, ni même sur l'une des classes de sortie : 62% des apprentis du niveau CAP à BTS auraient un emploi sept mois après la fin de leur formation. Les jeunes ayant suivi une formation de CAP sont ceux qui s'en sortent le moins bien : ceux qui ont validé leur diplôme sont 54,5% à avoir un emploi, ceux qui ne l'ont pas validé, 32,3%. La meilleure des situations est à chercher du côté des apprentis qui suivent une formation de niveau I et II (Bac+3 à Bac+5) : 75,5% de ceux qui ont validé leur formation travaillent, contre 67,2% pour ceux qui ne l'ont pas validée.

Ceci dit, les personnes passées par l'apprentissage ont effectivement un avantage dans la recherche d'emploi, comme l'explique cette étude et l'un de ses auteurs, Emmanuel Sulzer du Cereq : «L'apprenti a l'avantage d'avoir déjà trouvé son apprentissage, qui est une forme d'emploi. Dans de nombreux cas, ce contrat fait office de test pour l'entreprise qui peut décider par la suite d'embaucher le jeune ou non.»

«Un jeune sur trois n’a pas de travail, un apprenti sur deux crée sa boîte»


Un jeune sur trois au chômage, c'est beaucoup. Et c'est grossièrement faux, pour deux raisons. Primo, si on regarde le taux de chômage des jeunes (calculé sur la population active), on est plus proche d'un jeune sur quatre : 23,4% en 2014. Deuxio, ce chiffre fond comme neige au soleil si, comme le suggère le slogan, on compte tous les jeunes (et non plus seulement ceux dits actifs). Dans ce cas, le ratio est ramené à 9,1 sur 100, selon les données d'Eurostat sur l'année 2015. Bref, moins d'un jeune de 15 à 24 ans sur dix est au chômage en France. Bien loin d'un sur trois.

Interrogé sur ces aspects caricaturaux de la campagne, Antoine Monnin, le directeur du FNPCA, les assume. Se défendant de toute volonté de dénigrer les autres formations, il dit vouloir «faire redécouvrir l'apprentissage et les formations en apprentissage, à prouver aux jeunes comme à leurs parents que l'apprentissage est un accélérateur pour l'emploi». Quant au ton employé, il est à prendre sur le ton de l'humour comme lors de la campagne précédente qui avait mis des professionnels passés par l'apprentissage à l'honneur, comme le célèbre coiffeur Franck Provost.