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Désintox

Regroupement familial : Eric Woerth s’oppose et s’embrouille

En affirmant que le regroupement familial est la première source d'immigration en France, le nouveau secrétaire général de Les Républicains mélange tout.

Eric Woerth, secrétaire général de LR.  (Photo Laurent Troude. Traitement Libération)
Publié le 28/08/2016 à 20h01

Chez Les Républicains (LR), les campagnes se suivent et se ressemblent. La bataille de la primaire vient à peine de se lancer que l’immigration a déjà trouvé une place centrale dans les discours, en particulier le regroupement familial, c’est-à-dire la possibilité pour un étranger en situation légale et installé en France depuis au moins dix-huit mois de faire venir - à certaines conditions de logement et de revenus - des membres de sa famille (enfants, conjoint).

En 2007 déjà, puis en 2012, Nicolas Sarkozy avait fait campagne pour une restriction drastique du regroupement familial, qui avait pourtant fait l'objet d'un durcissement des conditions en matière de revenus et de logement en 2003 et 2006. Sarkozy remet donc le sujet sur le tapis mais, cette fois, il ne s'agit rien de moins que de supprimer le regroupement familial, au moins pour un temps… Ce qu'a justifié Eric Woerth, nouveau secrétaire général de Les Républicains, dans un échange chiffré et confus avec Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV : «Nicolas Sarkozy veut supprimer le regroupement familial, lance le présentateur.

- Oui, il a bien raison, lui répond Eric Woerth. - Ça représente quoi, le regroupement familial ?

- C’est la source principale de l’immigration. Ça représente une centaine de milliers de…

- Non. 23 000. Ce sont les chiffres officiels.

- Non, le regroupement familial, c’est la première source d’immigration en France.»

La principale source d’immigration en France… à condition de tout mélanger. Les chiffres du ministère de l’Intérieur sont pourtant faciles à trouver. En 2014, on a compté 209 782 entrées légales d’immigrés. Qui se décomposent en cinq grands ensemble : 65 199 étudiants, 19 071 entrées pour motif économique, 19 868 pour des cas humanitaires (incluant l’asile), 13 647 pour «motifs divers», et enfin 91 997 pour des raisons familiales.

On imagine que quand Eric Woerth estime à 100 000 environ les chiffres du regroupement familial, il fait allusion à ce dernier ensemble. Au prix d’une confusion. Car le regroupement familial n’en est qu’une toute petite partie. L’essentiel de ces quelque 92 000 titres de séjour correspond, pour 50 694 d’entre eux, aux familles de citoyens français. Il s’agit en majorité de leurs conjoints (39 128), mais aussi des parents d’un enfant français, ou encore des enfants étrangers de Français. Les statistiques du ministère évoquent ensuite 18 213 entrées au titre des «liens personnels et familiaux», soit en fait un fourre-tout statistique de personnes n’entrant dans aucune catégorie… Il reste donc 23 090 entrées au titre des «membres de famille». C’est ce chiffre que Jean-Jacques Bourdin oppose à Eric Woerth en affirmant qu’il s’agit du volume du regroupement familial.

A tort. Car en réalité, le regroupement familial n'est encore qu'un sous-ensemble de cette catégorie. En 2014, le ministère a dénombré 12 122 entrées au titre du regroupement familial. Le reste des «membres de famille» sont par exemple des époux qui accompagnent un immigré entrant en France pour motif professionnel. Conclusion : le regroupement familial ne pèse donc en réalité que 6 % du total des entrées… Et prétendre que sa suspension permettrait de juguler «la principale source de l'immigration» est une galéjade. A moins que Nicolas Sarkozy et Eric Woerth ne souhaitent suspendre toute immigration pour motif familial. Ce qui aurait pour première conséquence d'interdire aux Français(es) qui se sont marié(e)s à des étranger(e)s d'être rejoint(e)s par leur conjoint(e).

Notons qu'Alain Juppé, adversaire de Nicolas Sarkozy, avait fait le même raccourci, affirmant il y a quelques mois : «Nous recevons chaque année 220 000 étrangers en situation légale. Sur ces 220 000, il y en a 45 % qui viennent par regroupement familial.»