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Désintox

Marisol Touraine survend les effets de la prime d’activité sur le pouvoir d’achat

Selon la minitre des Affaires sociales et de la Santé, 4,5 millions de Français auraient vu leur pouvoir d’achat augmenter grâce à cette prime. Un chiffre trompeur.
La ministre de la Santé, Marisol Touraine, le 4 février à Paris. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
publié le 11 septembre 2016 à 20h31

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A quelques encablures du début de la campagne présidentielle, le moment est venu pour le Parti socialiste de faire un peu reluire le bilan du quinquennat. Et comme souvent dans ce genre d'exercice, la tentation est forte de faire un peu trop briller… Il y a une semaine, sur RTL, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, était interrogée sur la défiance des ouvriers vis-à-vis du Président. Sa réponse : «Nous montrerons les actions qui ont été menées. Vous parlez des ouvriers, c'est-à-dire des gens qui ont des revenus souvent modestes. Nous avons pris des mesures spécifiques de pouvoir d'achat pour ces catégories-là. Nous mettons en place une prime d'activité : 4,5 millions de personnes ont bénéficié de la prime d'activité depuis le début de cette année, 4,5 millions de personnes qui ont du pouvoir d'achat en plus.»

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Ainsi, 4,5 millions de Français auraient vu leur pouvoir d’achat augmenter grâce à la prime d’activité, ce revenu additionnel pour les personnes travaillant et percevant moins de 1 500 euros par mois ? Voyons voir. Petite précision comptable : de janvier à juillet 2016, au total, plus de 3,4 millions de foyers ont bénéficié de la prime d’activité. Un foyer pouvant être un individu, un couple ou une famille, le nombre de bénéficiaires est donc supérieur. Ainsi, pour le seul mois de juillet, ce sont 4,3 millions de personnes qui ont bénéficié de la prime (dont environ un gros tiers d’enfants).

La totalité de ces foyers ont-ils vu leur pouvoir d’achat augmenter ? Les choses sont un peu moins simples que le dit Marisol Touraine, qui oublie de préciser que cette prime d’activité a été créée en remplacement de dispositifs existants : le RSA activité et la prime pour l’emploi (PPE), qui ont été fusionnés en «prime d’activité». D’où la question : les Français concernés ont-ils gagné dans l’opération ? Marisol Touraine semble suggérer que oui. Or, ce n’est pas le cas pour tous. L’étude d’impact réalisée par le gouvernement au moment du débat sur la prime d’activité prévoyait d’ailleurs un bilan nuancé occasionnant des gagnants (1,25 million), mais aussi des perdants (800 000) et une grande partie de situations inchangées (2,4 millions). Logique, vu que l’opération devait se faire à enveloppe budgétaire constante (autour de 4 milliards d’euros) en concentrant davantage les moyens vers les plus modestes. Le but était notamment de mieux cibler les montants dévolus à la PPE, qui avait pour avantage d’être automatique mais le désavantage de viser trop large, d’où la critique de saupoudrage (plus de 5 millions de bénéficiaires, pour un faible montant moyen). A l’inverse, le RSA activité permettait une aide supérieure, mais pour un nombre bien moindre de bénéficiaires (1 million).

Six mois après l’entrée en vigueur de la nouvelle aide, la députée Valérie Rabault, rapporteure de la commission des finances, a évalué l’application de la réforme dans un rapport publié en juillet. Elle arrive à un nombre de gagnants un peu supérieur : ils seraient 1,52 million. Contre 740 000 perdants et 2,25 millions de situations inchangées. Même ainsi, il est donc trompeur de dire que la prime d’activité a augmenté le pouvoir d’achat de toutes les personnes concernées.

Selon le rapport, les anciens bénéficiaires du RSA activité sont toujours gagnants dans la fusion. C’est loin d’être le cas pour les anciens bénéficiaires de la PPE, dont une grande partie n’est plus éligible à la prime d’activité. Les perdants seraient en très grande majorité des couples (77 %). Ce qui s’explique par une modification des critères d’attribution. Le critère d’éligibilité à la prime pour l’emploi s’appréciait au niveau du foyer fiscal, ce qui ne prenait pas en compte la situation des couples en concubinage. Une personne percevant des revenus d’activité modestes, inférieurs à 1,25 Smic, pouvait bénéficier de la PPE alors même que son concubin avait des revenus très élevés, puisque ces deux personnes constituaient chacune un foyer fiscal distinct. C’est désormais impossible, la condition de ressources étant appréciée pour la prime d’activité au niveau du ménage… D’où l’exclusion de nombreux couples du dispositif.

Le détail donné par le rapport montre également que les perdants ne se trouvent pas uniquement dans les foyers aisés. Conformément à l’objectif de la réforme, plus de la moitié des 1,5 million de gagnants se trouvent dans les trois premiers déciles (ménages ayant jusqu’à 15 800 euros de revenus annuels). Pour autant, 65 % des perdants se trouvent entre les deuxième et quatrième déciles (entre 10 730 euros et 17 890 euros). Mais c’est une règle en politique : les bilans sont souvent un peu plus nuancés qu’on a la tentation de le dire.