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Désintox

Aux comparutions immédiates de Bobigny, difficile d’accuser la justice de laxisme

Côté justice, la politique de la gauche est-elle, comme se plaisent à le répéter ses détracteurs, si peu ferme envers les récidivistes ? Désintox est allé vérifier au tribunal.
David Rachline, sénateur FN du Var, en septembre à Paris. (Photo Laurent Troude)
publié le 30 octobre 2016 à 17h51

Intox

Le laxisme de la justice, cette vieille rengaine de l’opposition, est de nouveau sur les lèvres de tous ceux qui soutiennent les manifestations de policiers. La réforme pénale de Christiane Taubira et la suppression des peines planchers expliqueraient que des délinquants récidivistes, voire multirécidivistes, échappent sans cesse à la prison, comme on l’entend en boucle.

A l'extrême droite, David Rachline a la solution : si le Front national était au pouvoir «il ferait des lois qui ne permettent plus à des délinquants récidivistes, multirécidivistes, de ressortir libres à chaque fois qu'ils sont pris par la police». Un discours repris en chœur par tout le parti. Louis Aliot regrette que «les policiers arrêtent dix, quinze fois la même personne, systématiquement ils la retrouvent dans la rue». Mais cette accusation n'est pas l'apanage du Front national, la droite rognant sur ses plates-bandes quand il s'agit de taper sur la loi Taubira. Claude Guéant se met à la place des policiers, qui «ne peuvent plus supporter d'interpeller cinq fois, dix fois, cent fois, cent cinquante fois la même personne, la déférer, et ensuite qu'aucune suite ne soit donnée». Enfin, la sentence de Nicolas Sarkozy tombe : «Si les policiers arrêtent toujours les mêmes et qu'ils ne sont pas mis en prison, ça ne sert à rien.»

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Les délinquants récidivistes échappent-ils systématiquement à la prison ? Evidemment, non. Mais Désintox a passé une journée à la 17chambre correctionnelle du TGI de Bobigny, celle des comparutions immédiates. Une journée au hasard. Pour voir et montrer ce qu'il en est réellement. Ces audiences en comparutions immédiates permettent de juger une personne directement après sa garde à vue. Elles s'appliquent uniquement aux délits punis d'au moins deux ans d'emprisonnement, ou six mois en cas de flagrant délit.

Sur les dix personnes jugées ce mardi à Bobigny, six sont des récidivistes. L'audience commence avec B. Les juges et le procureur se sont déjà mis d'accord pour renvoyer son procès le temps d'effectuer une expertise psychiatrique. B., 29 ans, est assez préoccupé : il veut récupérer un chèque et n'a pas l'air de bien comprendre ce qu'il fait là. Le jeune homme est jugé pour violences : il s'est rendu au domicile d'une femme, qu'il dit ne pas connaître, l'a poussée et a dégradé des meubles. Seulement voilà, il avait déjà blessé cette femme le week-end précédent et avait été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d'entrer en contact avec elle. Même s'il n'a aucun antécédent de violences, il est placé en mandat de dépôt jusqu'à son procès, renvoyé au 5 décembre. «Le tribunal souhaite éviter qu'on vous retrouve à nouveau chez elle», tente de lui expliquer la présidente du tribunal.

Les récidivistes suivants comparaissent ensemble : A. et K., 19 ans tous les deux, sont jugés pour trafic de cannabis. Le premier est tunisien, arrivé en France il y a quelques mois, et a besoin de l'aide d'une interprète. Il demande à ce que son procès soit renvoyé, celui de son acolyte le sera donc aussi puisqu'ils sont là pour la même affaire. Les juges examinent malgré tout leur situation, pour «décider de ce qu'on fait [d'eux]», jusqu'à leur procès. Le premier ne s'est pas rendu à une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), à laquelle il était convoqué quelques jours plus tôt pour des faits similaires, le second a été condamné début octobre à dix mois ferme. Il était en attente de l'exécution de sa peine lorsqu'il a été arrêté en état de récidive légale. Leur avocate a beau plaider un renvoi sous contrôle judiciaire et le «désengorgement du milieu carcéral», ils sont immédiatement incarcérés à Villepinte en attendant leur procès. Pour «prévenir le risque de récidive et garantir leur présence au procès».

Arrive A. Alcoolisé, sans permis de conduire et au volant d'une voiture volée, il a renversé un homme à scooter à Montreuil. A. est ce que David Rachline appellerait un «multirécidiviste». A tout juste 19 ans, il a déjà passé dix-sept mois sous les verrous pour vols et trafics. Le jour des faits, il fêtait justement sa sortie de prison. «Vous êtes sorti depuis un mois et demi, vous allez passer votre vie en prison», le sermonne la présidente. Il est retourné à Fleury-Mérogis le soir même, condamné à dix mois ferme.

Un autre homme arrive, tout sourire dans le box. Il vient de passer presque deux mois en prison en détention provisoire, le temps de réaliser une expertise psychiatrique. Pénalement responsable selon l'expert, il est tout de même suivi pour des troubles psychiatriques. Il a volé deux couteaux dans un Franprix et jeté une pierre sur la vitre d'un immeuble pour «pouvoir retourner en prison», a-t-il expliqué aux enquêteurs. Il y dort depuis deux mois. Condamné à un mois ferme, sa peine a déjà été couverte par la détention provisoire.

Le dernier récidiviste a 20 ans. Il a été arrêté pour trafic d’héroïne près du métro à Saint-Denis. C’est exactement à cet endroit qu’un policier l’avait déjà interpellé une semaine auparavant. Son casier étant vierge jusque-là, il avait été placé sous contrôle judiciaire jusqu’à son procès, fixé au 21 novembre. Placé en détention provisoire immédiatement après cette seconde arrestation, il a été condamné mardi à deux mois ferme. Et est donc retourné en prison.

Sur les quatre autres affaires jugées ce jour-là, une a été déclarée nulle. Les trois autres concernaient des primodélinquants. Deux d’entre eux ont été condamnés à de la prison ferme, le troisième à dix-huit mois avec sursis. Si laxisme de la justice il y a, les dix personnes passées en comparution immédiate mardi dernier n’ont pas dû le ressentir.

Des chiffres rares sur la récidive

Il n'existe pas de statistiques récentes et précises sur le devenir des récidivistes. Un rapport de 2014 précisait que «les durées des peines prononcées contre les récidivistes sont multipliées par 2,6 par rapport aux auteurs d'infractions commises hors récidive légale». Mais il prenait en compte la période d'application des peines planchers, désormais supprimées. Toutefois, contrairement à ce que dit souvent la droite, cette suppression ne signifie pas que les récidivistes ne sont pas condamnés plus sévèrement que des primodélinquants. «La règle selon laquelle un récidiviste doit se voir appliquer une peine minimale a disparu, expliquait récemment à Désintox Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. Mais la règle selon laquelle la peine encourue en cas de récidive est doublée demeure. Et dans les faits, les récidivistes sont condamnés plus lourdement, ne serait-ce que parce qu'ils ont un casier judiciaire et que les antécédents sont évidemment pris en compte.» Une circulaire du 26 septembre dispose d'ailleurs que «lorsque l'état de récidive est relevé, la seule conséquence à prendre désormais en compte est le doublement de la peine encourue».