INTOX. Au secours, il revient! Revoilà… le chiffre unique de la délinquance. La tarte à la crème de la com sécuritaire. L'attrape-couillon statistique par excellence. On le croyait enterré, on le voit refleurir dans les bouches et les tweets de Sarkozy et des sarkozystes. Donc, voilà : grâce à Nicolas Sarkozy, la délinquance aurait baissé de 17% entre 2002 et 2012 (ou de 16% entre 2007 et 2012).
RT NSlesjeunes: .NicolasSarkozy : "Sous mon quinquennat, la délinquance a baissé de 16%" #BourdinDirect pic.twitter.com/O84jzozIen
— 68avecSarkozy (@68avecSarkozy) October 27, 2016
De 2002 à 2012, la délinquance a baissé de 17% dans notre pays. #QuestionsPol #ToutPourLaFrance
— Eric Ciotti (@ECiotti) October 30, 2016
DÉSINTOX. Ceci rappellera des souvenirs aux plus vieux lecteurs de Désintox… En 2011, déjà, Brice Hortefeux, alors ministre de l'intérieur, avait sorti un joli panneau sur le plateau de TF1, indiquant une baisse de la délinquance de 16,2% depuis 2002. Mais puisqu'il faut réexpliquer (1)…
Avant de comprendre pourquoi le chiffre ne veut rien dire, comprenons comment il a été fabriqué. Si on met bout à bout le total des infractions référencées dans les quatre grands agrégats de la délinquance (atteintes aux biens, atteintes volontaires à l’intégration physique, infractions économiques et infractions révélées par l’action des services – qui ne figurent pas sur le tableau) on arrive à une baisse de 700 000 faits constatés entre 2002 et 2010. Soit environ la baisse de 16% évoquée.
Hélas, le fait de mettre toute la délinquance dans le même grand sac (selon la présentation dite du «chiffre unique» de la délinquance) n'a pas de sens. Prenons un exemple (caricatural) pour comprendre : toutes choses égales par ailleurs, une baisse de 1 000 dégradations d'abribus assortie d'une hausse de 500 meurtres aboutit à une baisse de la délinquance de 500 faits. Doit-on s'en féliciter ? Les faits de délinquance, de gravité et de nature diverses, évoluent différemment. Et sur la période de référence choisie par la droite, les atteintes aux biens constatées ont beaucoup baissé, alors que les enregistrements d'atteintes aux personnes et de faits de délinquance économique ont augmenté.
Faire une statistique globale de tout cela pour illustrer la délinquance ne veut rien dire. L'Observatoire national de la délinquance (ONDRP), que Sarkozy a créé en 2003 – mais sans jamais avoir écouté ses recommandations méthodologiques en matière d'usage des stats – a fait dès 2004 le choix de ne pas présenter le total des faits. Voici ce que l'observatoire disait par exemple en 2009 : «Le total des faits constatés est un calcul non pertinent en raison de son hétérogénéité. Ce n'est pas un chiffre utile dans l'analyse des phénomènes de délinquance. Son utilisation comme chiffre unique, surtout lorsqu'il est assimilé à "la délinquance", est une simplification grossière qui induit en erreur. Le projet même de mesurer en un seul chiffre "magique" la délinquance est illusoire.»
A force d'insister, l'ONDRP a fini par venir à bout de cette grossière présentation. Le ministère de l'Intérieur, en février 2010, avait diffusé une circulaire mettant fin à l'utilisation du chiffre unique dans les publications réalisées et diffusées par la DGPN et la DGGN. Mieux, cette décision de ne plus diffuser le total des faits constatés avait même fait l'objet d'un consensus européen lors d'une réunion de juin 2011 à Luxembourg. Dans son rapport de 2012, l'ONDRP se félicitait d'être «parvenu, non sans mal, à faire comprendre que le chiffre unique n'avait aucun sens». En janvier 2012, dans une louable (quoique bien tardive) contrition, Claude Guéant, ministre de l'Intérieur d'alors, avait en effet annoncé dans une conférence de presse la fin de cette comptabilisation. Manuel Valls, en qualité de ministre de l'Intérieur, a entériné cette suppression dans le cadre de la refonte globale de la statistique de la délinquance. Bref, on ne compte plus la délinquance comme ceci en France. Et c'est tant mieux pour le débat public. Et c'est d'autant plus navrant de voir, à la faveur de la campagne, le camp sarkozyste ressuciter ce chiffre unique imbécile.
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(1) Cet article est en grande partie une reprise d'un Désintox paru en 2014, déjà consacré au même sujet.