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Désintox

La France, championne du monde des «voitures sales» ?

Yannick Jadot vainqueur de la primaire EELV pour la présidentielle 2017dossier
Yannick Jadot, eurodéputé écolo et candidat à la présidentielle, a plusieurs fois affirmé que l'Hexagone trustait la première place du classement des «voitures sales». Il l'a fait sur la foi d'une étude qui ne dit pas ça.
Yannick Jadot lors des Assises du produire en France, à Reims, le 9 septembre. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 13 décembre 2016 à 11h47

INTOX Quel meilleur moyen d'inciter à aller vers la voiture «propre» que de dire qu'on a les voitures les plus sales du monde ? C'est le sombre constat dressé par Yannick Jadot, candidat écologiste à l'élection présidentielle, sur Radio classique (à 5'16" ci-dessous) : «Il n'y a pas qu'une seule réponse. Evidemment, il faut aller vers la voiture propre. Quand vous voyez, dans toute la presse française au moment du Mondial de l'auto, "la France championne du monde des voitures sales", vous vous doutez bien qu'on ne va pas garder des emplois et des industries sur un tel créneau.» 

Ce n'est pas la première sortie de Jadot contre les «voitures sales» françaises. Lors du deuxième débat de la primaire Europe-Ecologie-les Verts, il avait déjà asséné : «Vous pensez qu'en étant champion du monde des voitures sales, on ne va pas perdre les emplois, on ne va pas perdre les industries ?»

DÉSINTOX Yannick Jadot se base sur une étude de l'ONG européenne Transport & Environment (T&E) parue le 19 septembre. Cette étude, initiée après le scandale des moteurs diesel Volkswagen truqués, visait à tester la conformité des véhicules diesel les plus récents avec les normes Euro 5 et Euro 6 en matière d'émissions de particules fines (PM) et oxydes d'azote (NOX). Verdict : 29 millions de véhicules diesel européens vendus à partir de 2010 émettent au moins trois fois plus (et jusqu'à quinze fois plus pour les pires moteurs). Et dans le lot, près de 5,5 millions, selon T&E, circulent en France. Plus que dans tous les autres pays européens.

Mais cela ne suffit pas à déduire que la France a le parc automobile le plus sale du monde, comme Jadot le dit. D'abord parce que l'étude ne concerne que l'Europe. Et ensuite parce qu'elle ne porte donc que sur les véhicules diesel commercialisés depuis 2010, soit une part marginale du parc automobile. Ainsi, en France, le champ de l'étude porte sur quelque 7 millions de véhicules sur un total de 38 millions en 2015, soit moins d'un véhicule sur cinq.

Il n'existe aucun statistique européenne (et encore moins mondiale) permettant de comparer la totalité des parcs. La pollution dépend de nombreux paramètres. Le modèle du véhicule, son âge et donc la sévérité des normes qui prévalaient au moment de sa mise en circulation en sont un : ainsi, les voitures répondant par exemple aux normes Euro 3 instaurées en 2001, qui représentaient encore 23,4% des véhicules particuliers au 1er janvier 2013 selon un rapport du Sénat, ont légalement le droit d'émettre 11 fois plus de particules fines que les derniers modèles. La motorisation est également un critère important en matière d'émission. Tous les moteurs émettent ces polluants, mais «les oxydes d'azote et les particules fines sont surtout produits par les moteurs diesel, même si on a de bonnes raisons de croire que les nouveaux moteurs essence à injection directe en émettent plus que les vieux moteurs à essence», explique Bertrand-Olivier Ducreux, ingénieur à l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie).

De prime abord, la France coche toutes les mauvaises cases. «La France possède un parc plus fortement diésélisé qu'ailleurs en Europe, ça c'est clair, juge Michel André, directeur de recherche à l' Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifsttar) et spécialiste transports/pollution de l'air. Avec à la clé des problèmes de NOX et de pollution particulaire sans doute un peu plus aigus.» Selon l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), l'Hexagone compterait 66% de véhicules particuliers diesel en 2016. En outre, ces véhicules représentent 76% des kilomètres parcourus (ce qu'on appelle le parc automobile roulant). L'explication est simple : un véhicule diesel coûte plus cher mais son carburant est moins cher. Il est donc d'autant plus rentable quand on l'utilise pour rouler beaucoup. Par ailleurs, ce parc diesel, selon le classement de l'âge moyen des parcs automobiles des 28 pays membres en 2014, fourni par l'Agence européenne pour l'environnement (EEA), est plutôt plus vieux que la moyenne continentale :  7,69 années en moyenne contre 6 ans et demi.

Que conclure de ces différents indicateurs ? Que le parc automobile français est dans la moyenne haute de la diésélisation et de l'ancienneté en Europe. Un cocktail qui peut laisser envisager que le parc hexagonal doit effectivement figurer parmi les plus polluants d'Europe. Même si on ne peut l'affirmer, comme le fait Yannick Jadot sur le fondement d'une étude qui ne dit pas cela. Et pour ce qui est du bonnet d'âne au niveau mondial, l'affirmation semble bien plus aventureuse… Difficile d'assurer par exemple que le parc français est plus sale que celui de l'Inde, où les normes en vigueur sont bien inférieures à celles qu'on respecte en Europe.