Invitée de Questions d'info, l'émission politique du mercredi de la Chaîne parlementaire (LCP), Marine Le Pen a enchaîné les contre-vérités concernant les enquêtes ciblant son parti.
1. L’emploi fictif d’une assistante parlementaire à Bruxelles
INTOX Le journaliste Yaël Goosz évoque (à partir de 8'21"), passage obligé, le non-remboursement de quelque 340 000 euros réclamés par le Parlement européen à Marine Le Pen. La somme correspond, pour la majeure partie, au salaire versé par la présidente du FN à son assistante parlementaire accréditée à Bruxelles et censée y travailler, mais accusée d'avoir en fait œuvré au siège du parti, à Nanterre, de 2010 à 2016.
«Il y a un règlement européen, il faut que les assistants puissent prouver qu'ils logent à Bruxelles, presse Yaël Goosz.
– Mais ça a été prouvé, Monsieur, tout cela a été prouvé, lui rétorque Marine Le Pen.
– Pas de factures d'eau, pas de factures d'électricité, sa fille scolarisée à Garches [dans les Hauts-de-Seine, ndlr]…
– C'est absolument incroyable ! […] Aujourd'hui vous décidez, vous, qu'elle n'était pas assez à Bruxelles. C'est quoi, pas assez ? Parce qu'elle a tout démontré. Elle a démontré qu'elle était logée chez un autre assistant parlementaire, elle a démontré qu'elle badgeait (pour entrer au Parlement), elle a démontré qu'elle s'était enregistrée auprès du fisc. Elle a démontré l'intégralité de cela.»
DÉSINTOX Nicolas Bay s'y était déjà pris les pieds la veille. Qu'à cela ne tienne, rebelote pour Marine Le Pen. Contrairement à son secrétaire général, la présidente du parti n'insinue pas que son ancienne assistante parlementaire, Catherine Griset, n'était pas tenue de vivre à Bruxelles. Bien au contraire, elle estime que cette dernière a apporté tous les éléments permettant de prouver qu'elle a satisfait à cette obligation.
Or, comme le rapportent nos confrères de l'Obs, qui ont eu accès à la retranscription de son audition, Catherine Griset a affirmé à l'Office européen de lutte anti-fraude qu'elle avait «été logée par des amis qui avaient une grande maison» pour justifier l'absence de bail et de factures… sans visiblement les convaincre.
En ce qui concerne le peu d'entrées enregistrées par les portiques du Parlement («Trois heures seulement, entre le 1er octobre et le 31 décembre 2014», écrit l'Obs), Catherine Griset se justifie en affirmant qu'elle entrait «par le parking, dans la même voiture que Madame Le Pen», avant d'emprunter le portique réservé aux députés plutôt que celui des assistants, «ce qui est rigoureusement interdit», note l'Obs.
A la lecture du verbatim de l'Obs, une chose est claire : l'assistante n'a pas «démontré qu'elle badgeait», comme l'affirme Marine Le Pen, mais plutôt tenté d'expliquer pourquoi elle ne le faisait pas. Une justification qui semble d'ailleurs bien fallacieuse puisque, comme le note un journaliste très au fait des usages bruxellois, «même en passant "par le parking", Catherine Griset devait badger. Seuls les députés ne badgent pas».
Et donc, même en passant "par le parking", Catherine Griset devait BADGER. Seuls les députés ne badgent pas. #FN
— Jean-Sébastien Lefebvre (@JSLefebvre) February 1, 2017
2. Le financement de la campagne de 2012
INTOX Sur le plateau de Questions d'info, on se coupe un peu la parole. Yaël Goosz tente d'apaiser les choses avant d'aborder une autre affaire, celle des comptes de campagne de 2012. En octobre, le FN a été renvoyé en correctionnelle par le parquet de Paris. Au total, dix personnes physiques et morales, dont deux hauts dirigeants frontistes, seront jugées pour des faits présumés d'escroquerie, de financement illégal de campagnes électorales, de recel d'abus de biens sociaux ou encore de faux et usages de faux. Le parti est notamment soupçonné d'avoir rendu quasi-obligatoire l'achat, par les candidats aux législatives, de kits de campagne surfacturés par la société Riwal, appartenant à un proche de Marine Le Pen. L'argent nécessaire à ces achats aurait par ailleurs été prêté par le microparti Jeanne affilié à la présidente frontiste. L'Etat remboursant tout ce beau monde au terme de la campagne, le FN aurait empoché une belle plus-value.
Yaël Goosz : «Très calmement, factuellement, pouvez-vous nous dire où vous en êtes sur d'autres enquêtes judiciaires qui concernent le Front national : le financement de la campagne de 2012, la société Riwal, (le microparti) Jeanne, pas d'inquiétude là-dessus ?
Marine Le Pen : Je n'ai aucune inquiétude là-dessus, Monsieur, aucune. Le modèle de financement que nous avons mis en œuvre, que nous avons utilisé quatre fois, a été quatre fois soumis au contrôle de la commission des comptes de campagne. Voilà, quatre fois !»
DÉSINTOX En rétorquant que les comptes du FN ont été soumis quatre fois au contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), et que c'est une preuve que tout est dans les clous, la présidente du FN ressort un élément de langage usé jusqu'à la corde depuis plus d'un an.
En novembre, Florian Philippot déclarait ainsi : «Toutes ces campagnes ont été systématiquement validées par des magistrats de la commission nationale des comptes de campagne et du financement de la vie politique française.» Sauf que cet argument ne tient pas la route…
Commençons par les législatives de 2012. Les comptes du FN avaient alors été effectivement validés par la CNCCFP. Mais dans la précipitation (en deux mois, et non six comme prévu), comme l'avait expliqué le président de la CNCCFP, François Logerot. Ce délai réduit n'avait pas rendu possible de «constater d'irrégularités manifestes».
Et c’est ensuite un signalement de la CNCCFP à propos des comptes du FN lors de ces élections qui a conduit le parquet de Paris à ouvrir l’enquête valant le renvoi en correctionnelle de dix personnes physiques du FN ou gravitant autour du parti.
L'argument de la validation par la CNCCFP ne tient pas plus pour les élections qui ont suivi (municipales de mars 2014, européennes de mai 2014, sénatoriales de septembre 2014 et départementales de mars 2015) car comme l'explique aujourd'hui une source de la commission, celle-ci n'a pas rejeté les comptes mais les a systématiquement réformés. Les magistrats ont en effet approfondi leurs contrôles et sanctionné certaines surfacturations, à hauteur de 10% à 15% de la facture totale. La commission a par exemple rejeté 19 comptes de candidats frontistes aux départementales de 2015 et réformé (c'est-à-dire retouché) 1 850 autres comptes, soit «97% de l'ensemble» et un montant de 1 220 784 euros.
C’est d’ailleurs pourquoi François Logerot a pris la peine, en juin, d’envoyer un courrier à Marine Le Pen, qui avait répété le même élément de langage pour la énième fois, afin de lui signifier son erreur.