Une intox largement partagée sur les réseaux sociaux depuis plus d'un mois est arrivée sur les ondes ce jeudi. Un auditeur de France Inter a interpellé François Fillon sur les loyers fictifs qu'Emmanuel Macron voudrait, selon lui, imposer aux propriétaires. En répondant que le candidat d'En marche avait affirmé lui-même qu'il «n'avait jamais proposé la taxation fictive», Fillon pourrait dire qu'il a fait le job, démentant une intox en direct. Mais la fin de sa réponse est en fait tellement ambiguë qu'elle laisse planer le doute sur la présence éventuelle de cette mesure dans le programme d'Emmanuel Macron, et rajoute une intox au passage. Voici la question de l'auditeur qui l'interpelle d'abord sur la suppression de la taxe d'habitation proposée par Emmanuel Macron, puis sur «la taxation sur les loyers fictifs» : «Je trouve que les journalistes ne parlent jamais de cette proposition d'Emmanuel Macron alors que nous sommes envahis de ces questions par les réseaux sociaux. Monsieur Fillon s'il vous plaît, qu'en pensez-vous ?»
Et voici la réponse de Fillon, à double sens : «Emmanuel Macron a expliqué plusieurs fois qu'il n'avait jamais proposé la taxation fictive. Je ne sais plus exactement la question, mais ça illustre bien son programme…
– Patrick Cohen : Ça n'illustre pas, il ne l'a pas proposée, en l'occurrence.
– François Fillon : Si si, ça illustre bien son programme. C'est-à-dire qu'il évoque des sujets et après il dit le contraire. Par exemple il a expliqué qu'il allait supprimer le RSI et qu'il allait transférer la protection sociale des indépendants au régime général de la sécurité sociale. Et puis quand il s'est rendu compte que ça allait représenter une augmentation de 30% des cotisations des indépendants, il a expliqué qu'il n'y aurait pas d'augmentation des cotisations, donc c'est tous les jours comme ça. Il est un jour pour les 35 heures, un jour contre, un jour pour la suppression de l'ISF, un jour contre…»
Mettons d'abord les choses au clair pour l'auditeur, plus nettement que ce qu'a fait Fillon. Si les journalistes ne parlent jamais de la proposition d'Emmanuel Macron sur la taxation fictive des loyers, c'est tout simplement parce qu'elle n'existe pas. Nos confrères de BuzzFeed et des Décodeurs l'ont déjà expliqué.
L'idée d'une taxe sur les loyers fictifs est en fait vieille de plusieurs années. Certains économistes, dénonçant une injustice entre les locataires qui paient un loyer chaque mois et les propriétaires qui ont fini de rembourser leur emprunt, et ne paient plus rien à la fin du mois, ont en effet déjà proposé de les imposer sur les «loyers implicites» qu'ils paieraient s'ils étaient locataires. L'idée n'a jamais été reprise par le gouvernement, mais la rumeur avait déjà circulé l'année dernière, obligeant le secrétaire d'Etat au budget, Christian Eckert, à démentir vouloir mettre en place une telle mesure.
D'où vient la rumeur ? Plusieurs organismes comme Terra Nova, une note de l'OFCE ou France Stratégies ont donc déjà abordé la question. Or, France Stratégies a été dirigée par Jean Pisani-Ferry, aujourd'hui en charge du programme économique d'En marche. C'est probablement ce ralliement de Pisani-Ferry à Macron qui explique que ce serpent de mer soit revenu dans la campagne, expliquent les Décodeurs.
Fin janvier, la rumeur commence à faire surface sur les réseaux sociaux. Mi-février, le site parodique d'extrême droite Buzzbeed affirme que «Macron veut faire payer un loyer aux propriétaires». L'article est partagé près de 50 000 fois sur Facebook. Deux semaines plus tard, le site Cyceon relaye lui aussi la rumeur : en s'interrogeant sur «la fin du droit de propriété en France», il explique que Macron veut mettre en place une telle mesure. Un article partagé plus de 25 000 fois.
Comme l'explique Fillon, l'équipe de Macron a démenti plusieurs fois vouloir mettre en place une telle mesure. Et celle-ci n'apparaît nulle part dans son programme. Affirmer donc, comme le fait le candidat LR, que «ça illustre bien son programme» (sous-entendu programme de girouette) relève de la malhonnêteté intellectuelle. Car Macron n'est pas revenu sur cette mesure : il ne l'a jamais proposée.
Une intox sur le RSI au passage
Par ailleurs, son exemple sur le RSI est tout aussi faux. Emmanuel Macron veut en effet supprimer le RSI, mais il n'a pas changé d'avis en s'apercevant que cela entraînerait «une augmentation de 30% des cotisations des indépendants». Comme Désintox l'a déjà expliqué, c'est François Fillon qui a assuré, à tort, que le projet de Macron provoquerait une telle hausse. Le candidat d'En marche prévoit de supprimer le RSI, mais il ne veut pas mettre les indépendants au régime général. Il propose de les faire bénéficier d'un guichet spécifique au sein du régime général… tout en continuant à s'acquitter des mêmes cotisations.
Et des raccourcis sur ses contradictions
Sur les 35 heures et l'ISF, Emmanuel Macron est en revanche plus ambigu. Il a ainsi annoncé début février vouloir supprimer «la part de l'ISF qui finance l'économie réelle» pour ne taxer que le patrimoine immobilier. Un an plus tôt, en avril 2016, il avait été accusé de vouloir supprimer l'ISF suite à des déclarations tenues dans une revue spécialisée d'assurances. Voici ce qu'il avait affirmé : «Je pense que la fiscalité actuelle n'est pas optimale. Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation sur la succession aux impôts de type ISF». Dans son programme, il annonce aujourd'hui le «remplacement de l'ISF par un Impôt sur la fortune immobilière (IFI)». Macron a donc précisé son propos, mais il ne s'est pas contredit d'un jour sur l'autre comme le dit Fillon.
Sur la durée légale du travail, enfin, il a clairement nuancé son propos. Critiquant vertement les 35 heures lorsqu'il était au gouvernement («La gauche a pu croire que la France pourrait aller mieux en travaillant moins. C'était des fausses idées», affirmait-il à l'université d'été du Medef en août 2015), Macron a ensuite expliqué que la durée du travail pouvait être modulée en fonction de l'âge («Quand on est jeune, 35 heures, ce n'est pas assez», a-t-il affirmé à l'Obs en novembre dernier). Aujourd'hui, sa position est la suivante : «La durée légale du travail restera à 35 heures», renvoyant «à l'accord de branche, l'accord d'entreprise, la possibilité de négocier d'autres équilibres».
Être ambigu et adapter ses propositions et déclarations, c'est en effet une spécialité d'Emmanuel Macron dans sa recherche perpétuelle du compromis. On l'a vu lors de ses déclarations sur la colonisation, la dépénalisation du cannabis et le mariage pour tous. Mais ces exemples étant peu clivants pour l'électorat de Fillon, celui-ci a préféré attaquer ce matin Macron sur l'ISF et le RSI : des sujets plus parlants pour son électorat, mais sur lesquels le candidat d'En marche ne s'est pas autant contredit que ce que Fillon aimerait faire croire.