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Non, Irma n'a pas fait des milliers (ni des centaines) de morts à Saint-Martin

Après Irma, Mariadossier
«Des cadavres qui flottent dans les rues», «plus de 1 000 morts»... Des témoignages délirants se succèdent depuis le passage de l'ouragan sur l'île franco-néerlandaise.
A Grand-Case, lundi sur l'île de Saint-Martin. (Photo Martin Bureau. AFP)
publié le 12 septembre 2017 à 18h47
(mis à jour le 14 septembre 2017 à 18h14)

INTOX. Dès le vendredi, soit environ quarante-huit heures après le passage de l'ouragan Irma, les chiffres les plus affolants circulent sur les réseaux sociaux. Des témoignages difficilement vérifiables font état de 80, 300, 400 morts… La machine s'emballe, et bientôt, certains internautes comptent plus de 1 000 victimes sur l'île, accusant les médias sur place de ne pas traiter l'information.

Sur Facebook, une internaute écrit «huit morts ? Il y a des CADAVRES qui flottent dans les rues !!!! J'en ai compté au moins dix en allant à Marigot pour avoir du réseau […]». Dans un commentaire, une autre abonde : «De source sûre, déjà 80 morts là-bas.»

Mais les contenus les plus partagés sont les vidéos. Ainsi, une résidente «depuis plus de vingt ans à Saint-Martin», manifestement en état de choc, s'en prend aux forces de l'ordre et au gouvernement dans une vidéo vue plus de 10 000 fois sur YouTube : «A Baie orientale il y a des coups de feu toute la journée et toute la nuit, ils tuent tout le monde», s'emporte l'internaute avant de conclure : «Il n'y a pas dix morts, il y en a des milliers des morts ! On voit des corps flotter à Saint-Martin !»

Dans une autre vidéo ajoutée par le même compte, reproduite sur YouTube mais qui semble avoir été tournée en Facebook Live, une jeune femme fait part de nouvelles «très alarmantes», obtenues par téléphone auprès de sa mère, dont elle dit qu'elle est en sécurité dans un bâtiment de Sandy-Ground, près de Marigot : «Il y a beaucoup de corps qui ont refait surface dans la mer. Les gens se battent dans les rues, se donnent des coups de machette […].»

Dans ce qui semble être un autre Facebook Live, également enregistré et visionné plus de 20 000 fois, une femme éplorée dit avoir «des nouvelles de Saint-Martin, de source sûre, je viens d'avoir mon mari». Elle évoque le braquage de la gendarmerie de La Savane et le pillage de son armurerie – ce qui n'est pas arrivé, comme nous l'expliquions ici.

L'une des vidéos les plus partagées est un autre Facebook Live, qui comptabilise plus d'1 million de vues. Une femme dit qu'une de ses connaissances «a vu un mec se faire abattre devant ses yeux parce qu'il a refusé de descendre de sa voiture». Elle poursuit, à propos de témoignages rapportés : «Je vous garantis qu'on a recensé plus de 500 morts auprès de l'hôpital de Marigot, qui n'existe plus lui non plus. Dans les rues, sur les plages, les corps ils flottent partout, on est à plus de 1 000 morts, c'est certain.» La femme, qui n'était pas sur Saint-Martin au moment de la catastrophe, affirme qu'«ils ont braqué le poste de douane, ils ont récupéré les armes».

DÉSINTOX. Le point commun de la plupart de ces vidéos est qu'elles n'ont pas été tournées par des personnes présentes sur l'île de Saint-Martin. Les internautes rapportent des témoignages obtenus auprès de proches, sans donner leur identité, ce qui complique la vérification de ce qu'ils avancent.

Ce qui n’a pas empêché nombre de comptes d’extrême droite ou conspirationnistes, souvent anonymes, de participer à rendre viraux ces contenus. Une occasion toute trouvée, pour eux, de reprocher au gouvernement la mauvaise gestion de la crise, et aux médias leur mauvaise couverture des événements, voire leur dissimulation de la vérité.

Il est vrai que la fluctuation du bilan du nombre de victimes communiqué par les autorités a pu contribuer à les décrédibiliser. A peine passé l’ouragan sur l’île, mercredi 6 septembre au soir, à l’aéroport d’Orly, la ministre de l’Outre-Mer, Annick Girardin, en route pour la Guadeloupe, annonce un premier bilan, forcément provisoire : deux morts et deux blessés. En fin de soirée (heure française), la préfecture de la région Guadeloupe (dont dépend la préfecture déléguée de Saint-Martin et Saint-Barthélémy) communique le chiffre de six morts pour la partie française de l’île de Saint-Martin.

Le jeudi 7, par la voix du Premier ministre, Edouard Philippe, les autorités rétrogradent et le bilan (toujours provisoire) passe à quatre morts à Saint-Martin, côté français. Aujourd'hui, selon Samuel Finielz, le procureur de Guadeloupe dépêché sur place, le bilan pour Saint-Martin, à 13 heures lundi, est de neuf morts «directement liés à Irma et constatés par les forces de gendarmerie». A l'Intérieur, on souffle le chiffre de onze tués. Mais dans les deux cas, on nie absolument la possibilité que le bilan puisse s'élever à une centaine de morts. Même son de cloche à l'hôpital de Saint-Martin, dont le directeur dément la rumeur de centaines de victimes auprès de Martinique 1ère.

«Je ne dis pas que le bilan ne pourra pas s'alourdir. A mesure du déblaiement, il est possible de découvrir des survivants ou des corps sous les décombres», reconnaît Samuel Finielz, qui «infirme en revanche complètement les affirmations qui font état de centaines de morts, il n'y a pas eu de centaines de morts». Même son de cloche du côté de la place Beauvau. Les corps retrouvés sont transférés vers la Guadeloupe pour être identifiés, avant d'être rapatriés à Saint-Martin pour être inhumés.

Des pillages de moins en moins nombreux

Au passage, le procureur de Guadeloupe infirme une autre intox liée au pillage supposé d'une armurerie : «Pas à la connaissance des services de justice et de gendarmerie.» Et nuance le tableau d'une île toujours à feu et à sang : «Aucun pillage n'a été constaté au cours de la nuit de lundi à mardi, le phénomène est en voie de disparition. Nous pouvons maintenant nous consacrer aux pillages qui sont survenus immédiatement après l'ouragan.» Mardi matin (heure de Saint-Martin), trois personnes étaient recherchées pour des faits de pillages constatés au plus fort de la catastrophe. L'autre sujet de préoccupation, selon Samuel Finielz, demeure «les barrages d'autodéfense, surtout présents à l'entrée des résidences». Hier, deux personnes armées ont été interpellées, puis placées en garde à vue. Leurs armes ont été confisquées, et elles sont ressorties avec une date d'audience, affirme Samuel Finielz.

Toutes les pharmacies de l'île n'ont pas été pillées ou détruites

Preuve de la difficulté d'obtenir des informations fiables sur l'île depuis l'ouragan : la question des pharmacies, illustrée par les approximation du Premier ministre. Samedi 9 septembre, Edouard Philippe annonçait que sur les 11 que comptait le côté français de l'île, 8 avaient été pillées et 3 détruites. Premier démenti, deux jours plus tard, avec la diffusion par le Ministère de l'Intérieur d'une vidéo montrant qu'au moins une officine (sécurisée par les forces de l'ordre), était encore en capacité de distribuer des médicaments.

A l'Agence régionale de santé (ARS), on explique en fait que deux pharmacies de Saint-Martin (côté français) n'ont été ni pillées, ni excessivement endommagées par l'ouragan, et que sous réserve que le courant soit rétabli, elles sont «prêtes à repartir». L'ARS, dont un cadre est présent sur l'île, explique n'avoir pas pu établir de diagnostic pour une troisième pharmacie. Les huit autres auraient quant à elles été «détruites puis pillées».