Menu
Libération
DESINTOX

Pourquoi vous avez lu tout et son contraire sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires

Pour le gouvernement, le pouvoir d'achat des fonctionnaires a augmenté, pour les syndicats il a baissé. Tout dépend des indicateurs que l'on prend… et il y en a beaucoup.
Manifestation des fonctionnaires le 10 octobre, ici à Montpellier. (Photo Pascal Guyot. AFP)
publié le 13 octobre 2017 à 16h36

Ces derniers jours, on a pu lire tantôt que le pouvoir d'achat des fonctionnaires a augmenté, tantôt qu'il a diminué. Ainsi, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a déclaré aux Echos : «Au cours des dernières années, les fonctionnaires n'ont pas vu leur pouvoir d'achat régresser, bien au contraire !» Ce à quoi le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, lui rétorque : «Le gouvernement se trompe en ne raisonnant qu'en moyenne et en masse salariale, contrairement à l'approche par niveau des fonctionnaires eux-mêmes, qui intègrent leur situation individuelle.»

Au même moment, Alternatives économiques note dans un graphique que le pouvoir d'achat des fonctionnaires a diminué de 9,2% par rapport à 2000 si l'on regarde leurs salaires bruts.

Pour le secrétaire général de l'Union des fédérations de fonctionnaires CGT, Jean-Marc Canon, (dans le Monde), le pouvoir d'achat a même plongé de 14,5% depuis la même période. Le syndicat l'inscrit noir sur blanc dans un document sur l'évolution du pouvoir d'achat.

En fait, tout dépend des indicateurs que l’on prend.

La rémunération moyenne des personnes en place

Quiconque veut montrer que le pouvoir d'achat des fonctionnaires augmente prendra comme indicateur la rémunération nette moyenne des personnes en place (RMPP). De fait, c'est par construction le plus favorable. La RMPP permet de suivre l'évolution de la fiche de paie des agents de la fonction publique d'une année sur l'autre. Elle augmente mécaniquement à cause des évolutions de carrière qui en découlent. Comme l'explique l'Insee, la RMPP «mesure les effets – généralement positifs – liés à l'ancienneté et aux progressions de carrière de ce groupe, et ne prend pas en compte les évolutions salariales liées aux mouvements de main-d'œuvre». Ainsi, elle ne tient pas compte du fait que «les jeunes générations entrantes sont moins bien rémunérées en début de carrière que les générations sortantes partant à la retraite». Ainsi, selon la Cour des comptes, elle n'a cessé d'augmenter entre 2003 et 2013 (si ce n'est une baisse de 0,1% en 2012 pour la fonction publique hospitalière).

Selon l’Insee, elle a aussi augmenté d’environ 2 points par fonction publique entre 2013 et 2014 et entre 2014 et 2015.

Une note publiée par le site Fipeco, qui s'appuie sur des estimations réalisées à partir des données de la Cour des comptes et du budget de loi de finances pour 2017, estime qu'entre 2009 et 2017 «le pouvoir d'achat de la rémunération moyenne des personnes en place, nette de cotisations, aura augmenté de 12,3% dans la fonction publique d'Etat contre 17,1% dans le secteur privé.» 

Le salaire net moyen (SMPT)

A la différence de la RMPP, le salaire net moyen (aussi appelé SMPT, salaire moyen par tête) intègre dans son calcul les effets d'«entrées-sorties». Il progresse donc moins vite que la RMPP. Le SMPT correspond au revenu moyen d'un agent à temps plein. Selon cet indicateur, le salaire net moyen en euros constants (en prenant en compte l'inflation) d'un agent public d'Etat était de 2 490 euros nets en 2014, en baisse de 0,2% par rapport à 2013. En 2015, il augmentait de 0,4%. Pour la fonction publique territoriale, il augmentait de 0,9% entre 2013 et 2014, et de 0,8% entre 2014 et 2015. Pour la fonction publique hospitalière, il a augmenté de 0,3% entre 2013 et 2014 puis de 0,6% entre 2014 et 2015. Entre 2013 et 2014, le SMPT de la fonction publique augmentait de 0,6%.

Voici l'évolution du SMPT, selon la Cour des comptes, entre 2003 et 2013. Alors qu'il a augmenté en moyenne de 0,2% par an pour la fonction publique d'Etat et de 0,4% pour la territoriale, cette hausse était de 0,5% dans le secteur privé.

A part pour la fonction publique d'Etat, le SMPT a donc diminué de 2010 à 2014, avant de légèrement augmenter en 2015. Le SMPT est donc un indicateur global qui permet d'évaluer l'évolution du pouvoir d'achat pour l'ensemble des fonctionnaires, sans être biaisé par les évolutions de carrière, mais en étant influencé négativement par «l'effet de noria». La différence de salaire entre les entrants et les sortants tend forcément à diminuer le SMPT puisque l'on constate dans les sortants une surreprésentation des personnes en fin de carrière (qui ont donc un salaire plus élevé). Dans la fonction publique d'Etat, «le fait que les jeunes générations entrantes sont moins rémunérées que celles partant à la retraite (« effet de noria »), pèse sur l'évolution du salaire moyen de l'ensemble pour -0,6 point» en 2015, note l'Insee. Dans la fonction publique territoriale, cet effet pèse sur le SMPT pour -0,5 point en 2015. Dans la fonction publique hospitalière, cet effet fait diminuer le SMPT de 0,7 point en 2014 (les chiffres de 2015 ne sont pas encore disponibles). Selon Fipeco, «le pouvoir d'achat du salaire moyen par tête, net des cotisations salariales, aura augmenté de 2,7% de 2009 à 2017 dans la fonction publique d'Etat contre 4,5% dans le secteur privé».

La différence d’évolution entre pouvoir d’achat du SMTP et de la RMPP est résumée dans le graphique ci-dessous. On y constate que, même si le pouvoir d’achat a légèrement augmenté depuis 2013, l’évolution reste en deçà de l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés du privé.

L’évolution des salaires à structure constante

C'est un troisième indicateur statistique utilisé par l'Insee dans ses notes sur le salaire des fonctionnaires, mais il est très peu cité dans la sphère publique. Il compare le salaire d'un individu une année donnée, avec celui d'un individu qui aurait eu la même expérience et la même carrière une année précédente. Il permet donc de calculer l'évolution du pouvoir d'achat entre deux générations différentes. Celui-ci a augmenté de 0,5 point en 2015 dans la fonction publique d'Etat, notamment à cause des revalorisations de l'échelonnement indiciaire dans la catégorie C. Au total, l'évolution des salaires à structure courante ne contribue qu'à une hausse de 0,2 point du SMPT. Dans la fonction publique territoriale, cet indicateur a progressé autant que le SMPT. «Un agent perçoit en 2015 en moyenne 0,8% de plus qu'un agent de même statut et cadre d'emploi en 2014», résume l'Insee.

Le point d’indice en fonction de l’inflation (CGT)

Enfin, Alternatives économiques et la CGT ne s'appuient pas sur des «indicateurs statistiques», au sens de l'INSEE. La CGT se base uniquement sur l'évolution du point d'indice, revalorisé en 2016 après six ans de gel. Or le point d'indice peut être un élément d'explication de l'évolution des salaires des fonctionnaires mais il est partiel, le salaire des fonctionnaires ne dépendant pas uniquement de ce point d'indice (primes, augmentations liées à l'ancienneté, etc...). Fipeco note ainsi que «la rémunération des fonctionnaires n'a pas été bloquée par le gel du point» : en plus des primes, le traitement minimal de la fonction publique a été revalorisé et les traitements des agents des catégories C ont été augmentés. Ce qui n'apparaît pourtant pas si l'on ne regarde que le point d'indice.

L’indice de traitement brut en fonction de l’inflation (Alter Eco)

De la même manière, évaluer le pouvoir d'achat des fonctionnaires en fonction de la seule évolution de l'indice de traitement des fonctionnaires par rapport à celle des prix à la consommation, comme le fait Alternatives économiques, ne prend pas en compte l'entièreté de la rémunération. Le salaire des fonctionnaires, c'est le traitement brut mais aussi les primes, dont la «garantie individuelle de pouvoir d'achat» (Gipa), qui garantit le maintien du pouvoir d'achat des fonctionnaires quand l'évolution du point d'indice est inférieure à l'inflation. Selon l'Insee, les primes représentaient par exemple 20% du salaire brut d'un agent de la fonction publique d'Etat en 2015. Entre 1999 et 2009, la part des primes dans la rémunération des fonctionnaires est passée de 14% à 20%. Regarder l'évolution du traitement sans les primes depuis 2000 comme le fait Alternatives économiques passe donc sous silence une partie de l'augmentation de la rémunération des fonctionnaires. Par ailleurs, cet indicateur n'est que théorique. Il synthétise ce qui pourrait se passer pour une personne qui n'aurait aucun avancement de carrière et ne dépendrait donc que de l'indice pour voir sa rémunération évoluer. Or comme on l'a vu plus haut, c'est justement l'ancienneté qui permet notamment d'augmenter le pouvoir d'achat d'une personne.

Dans ce graphique publié par la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), on constate malgré tout que l'indice de traitement brut a beaucoup moins augmenté que les prix à la consommation.