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DÉSINTOX

Medef-La France insoumise : la bataille des emplois non pourvus

Pierre Gattaz mise sur 500 000 emplois qui n'ont pas trouvé preneur. Pour le député insoumis Adrien Quatennens, il y en a moins de 20 000. Ils se trompent tous les deux.
Pierre Gattaz devant l'Elysée, le 12 octobre. (Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 24 octobre 2017 à 10h21

INTOX. Le fantasme des «emplois non pourvus», ces offres d'emploi que dédaigneraient les chômeurs oisifs préférant leurs indemnités à un travail ingrat ou trop éloigné, a de belles heures devant lui. Preuve en est : le président du Medef, Pierre Gattaz, la ressort en boucle depuis la rentrée. Le 21 septembre, il affirmait dans une vidéo publiée sur son compte Twitter : «Nous avons 300 000 emplois demandés, non pourvus dans l'économie française.»

Le 17 octobre, sur Europe 1, l'inflation avait fait son œuvre puisqu'il parlait désormais de «300 000 à 500 000 emplois demandés non trouvés».

Face à lui, le député de La France insoumise Adrien Quatennens se faisait au contraire sur RMC-BFM TV le défenseur des pseudo-feignants de Gattaz : «M. Gattaz court les plateaux télés pour nous faire la petite musique du chômage volontaire. Quelle est la réalité de ce fait-là ? Aujourd'hui, c'est un emploi non pourvu pour 300 chômeurs.»

A ce stade, la fourchette haute oscille donc entre 300 000 et 500 000 offres selon Gattaz, tandis que la fourchette basse se situerait entre 11 847 et 20 207 selon le néodéputé insoumis. Ces derniers chiffres correspondent simplement au résultat d'une règle de trois appliquée à l'affirmation d'Adrien Quatennens («un emploi non pourvu pour 300 chômeurs») et aux principaux agrégats statistiques de Pôle emploi (chiffres d'août 2017).

La notion d'emplois non pourvus, chimère du débat public français, est difficile à chiffrer. Comment savoir précisément combien d'emplois sont laissés vacants dans toutes les entreprises de l'Hexagone, à un moment T ? Même Pôle emploi, à qui l'on doit la meilleure (et seule vraie) estimation du phénomène, explique tâtonner. En 2016, l'agence avait ainsi fourni un nombre – 190 000 offres non pourvues – en répétant qu'il s'agissait d'une estimation et que le vrai chiffre pourrait très bien se situer entre 150 000 et 230 000. Une nouvelle estimation pourrait bientôt voir le jour mais, en attendant, ces 190 000 offres constituent l'échelle de référence.

Alors d'où sortent les chiffres de Gattaz et Quatennens ? Côté Medef, on explique qu'ils correspondent à une étude maison, le baromètre «tendance emploi compétence», qui porte sur le secteur privé uniquement, et qui recense chaque année entre 270 000 et 350 000 recrutements abandonnés. On ne saura donc pas d'où Pierre Gattaz tire sa fourchette haute à 500 000, sans doute née d'un effet d'emphase.

Du côté de La France insoumise, l'intention d'Adrien Quatennens était bonne, puisqu'il se fonde, ainsi qu'il l'explique à Libération, sur l'estimation Pôle emploi. Dans une infographie fournie en 2016, l'agence évoquait donc deux chiffres : les 190 000 cités plus haut, et 43 000 offres «annulées par les recruteurs faute de candidats». S'y ajoutait un graphique qui ventilait ainsi les raisons des «abandons de recrutement» : 34 % dus à la «disparition du besoin», 50 % à un «manque de candidats adéquats» et 16 % «faute de budget».

Le raisonnement du député insoumis était donc le suivant : «La note de Pôle emploi fait état de 190 000 offres "non pourvues" mais seulement 43 000 offres ont été retirées du marché sans recrutement, dont la moitié [21 500] faute de candidat adéquat. Il y a 6 millions d'inscrits à Pôle emploi, ce qui, divisé par 21 500, fait 300 [279 en réalité, ndlr].»

La démonstration semble efficace… mais s'appuie sur une note de Pôle emploi très mal conçue. Sur l'infographie que nous reproduisons ci-dessous et dont l'agence, contactée par Libération, reconnaît bien volontiers qu'elle est incompréhensible en l'état, manque un chiffre crucial : le nombre total d'abandons d'offres d'emploi, qui s'élève à 86 000, explique aujourd'hui Pôle emploi, qui assure que l'infographie va être corrigée.

Ce nombre permet de faire le lien entre toutes les données présentes sur la fiche Pôle emploi : sur 190 000 «offres non pourvues en 2015», 86 000 ont été abandonnées. Les 104 000 restantes étaient donc, en 2015, toujours ouvertes et à pourvoir. La moitié seulement de ces 86 000 étaient abandonnées par «manque de candidats adéquats» (les 50% du graphique circulaire), soit 43 000.

Cette erreur de Pôle emploi fausse le raisonnement de Quatennens. Il ne prend en compte que les 43 000 offres abandonnées faute de candidats adéquats, alors que 104 000 offres étaient encore ouvertes et non pourvues en 2015. En les ajoutant, on arrive à un total de 147 000 offres. Loin des 21 500 évoquées par le député insoumis.

Enfin, le choix du périmètre des chômeurs (6 millions, soit toutes les catégories) peut être discuté : les chômeurs de catégories D et E ne sont pas formellement tenus d'être en recherche d'emploi et on pourrait ainsi estimer plus correct de les exclure du raisonnement. Et les catégories B et C concernent des chômeurs partiels, en activité courte réduite ou longue.

En somme, en suivant le raisonnement de l'insoumis mais en choisissant plutôt l'agrégat catégories A, B et C (soit les chômeurs tenus de chercher un emploi) et en considérant les 147 000 offres «réellement disponibles» (c'est-à-dire maintenues par les entreprises ou supprimées faute de candidats), nous obtiendrions un emploi non pourvu pour 37 chômeurs, soit huit fois plus que le chiffre évoqué par Adrien Quatennens sur RMC-BFM TV. Ni lui, ni Pierre Gattaz n'avaient donc raison.