La préfecture des Hauts-de-Seine accueillait, ce jeudi 16 novembre une réunion de crise entre différents acteurs de Clichy-la-Garenne pour tenter de mettre un terme à plusieurs mois de tensions. Depuis plusieurs mois, l’Union des associations musulmanes de Clichy (UAMC) appelle en effet ses fidèles à prier devant la mairie pour protester contre la fermeture en mars dernier d’un lieu de culte. Pour l’UAMC, le nouveau lieu proposé par la municipalité, délocalisé en périphérie de la commune, présente une capacité et une sécurité insuffisantes.
Vendredi 10 novembre, une centaine d'élus d'Ile-de-France menés par le maire de Clichy, Rémi Muzeau, ont manifesté, en présence d'un dispositif policier important, contre des «prières de rue illégales», chantant la Marseillaise à tue-tête face aux fidèles et attirant l'attention de nombreux médias nationaux, y compris Libération. L'édile clichois a profité de ce coup de projecteur pour investir les plateaux télé et y lancer plusieurs accusations qui ont enflammé le débat public et la toile : «Il y a eu des prêches en arabe, des prêches avec des appels au meurtre. […] Cela a été mis sur les réseaux [sociaux]. Il y a eu aussi des documents qui ont été mis dans la rue qu'on a récupérés avec des phrases terribles qui disaient "si vous rencontrez un juif, tuez-le" !», a-t-il affirmé sur LCI (à 47 minutes et 43 secondes ci-dessous).
L'UAMC a démenti, déposant plainte mardi 14 novembre contre le maire pour «diffamation et incitation à la haine raciale», mais le mal était fait. Sur Facebook et Twitter, les allusions à de supposés appels au meurtre et tracts antisémites font florès. Sur CNews, Jean-Pierre Elkkabach a ajouté à la confusion en commettant plusieurs imprécisions. Le 16 novembre, après intervention du ministre de l'Intérieur, Gérard Colomb, la préfecture a pris la décision d'interdire les prières de rue à Clichy. Faisons le point sur les différentes intox qui ont circulé jusque-là sur le sujet.
1) Les prières de rue n’étaient pas illégales avant la décision du préfet le 16 novembre
INTOX. C'est la première intox sur le sujet. C'était même le principal argument des responsables politiques ayant manifesté le 10 novembre : ces manifestations sur la voie publique auraient été «illégales». La banderole des édiles franciliens réclamait ainsi : «Stop aux prières de rue illégales».
Le député, ex-ministre de l'Intérieur et ex-Premier ministre Manuel Valls, cette fois chez Jean-Jacques Bourdin, mercredi, en a finalement remis une couche. Interrogé par le journaliste de BFMTV/RMC, il lâchait, en marquant tout de même une hésitation : «Les prières de rues doivent être interdites, elles sont interdites par la loi !» (vers 5 minutes 36 secondes). Sur les réseaux sociaux, on trouvait quantité de personnes également affirmant que les prières de Clichy étaient illégales.
.@TF1 "découvre" 8 mois après que la ville de #Clichy est occupée par des prières de rue illégales.#PrièresDeRueÇaSuffit pic.twitter.com/lUfYt8A6eb
— Tancrède ن (@Tancrede_Crptrs) November 10, 2017
Merveilleux ! Les islamistes qui organisent les prières de rue illégales de Clichy-la-Garenne vont porter plainte contre les élus qui ont "perturbé leur prière". pic.twitter.com/dglisbMdXV
— Waleed Al-husseini (@W_Alhusseini) November 14, 2017
DÉSINTOX. Cette idée que les prières de rue sont illégales dans le droit français est fausse. Contactée par Désintox, la préfecture des Hauts-de-Seine avait fourni des éléments de droits permettant de le comprendre : «Les rassemblements de prière sur la voie publique, comme tous les cortèges […], sont régis par le décret-loi du 23 octobre 1935 aujourd'hui codifié à l'article L 211-1 du Code de la sécurité intérieure. A ce titre, une prière collective sur la voie publique suppose, comme pour toute manifestation publique le dépôt d'une déclaration préalable. […] Le Préfet peut choisir d'interdire la manifestation ou de la limiter si les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public, à compter du jour de la déclaration ou à compter du jour où il en a connaissance s'il n'y a pas eu de déclaration préalable.»
En clair, une prière de rue n’est pas a priori illégale. Elle doit faire l’objet d’une déclaration auprès des autorités compétentes sur le territoire concerné, ici la préfecture des Hauts-de-Seine, et peut éventuellement être interdite a posteriori (et ce, même si la manifestation n’a pas été déclarée).
En ce qui concerne les prières intervenues à Clichy, l'Union des associations musulmanes de Clichy (UAMC) affirme avoir déposé en mars, avant la première manifestation, une déclaration générale portant sur tous les vendredis suivants. La préfecture a confirmé dans un premier temps ne pas avoir émis d'interdiction, faute de pouvoir établir qu'une telle mesure eût été «strictement nécessaire au maintien de l'ordre public». Les manifestations étaient donc légales, encadrées par des policiers, et agents de renseignement territorial.
D'ailleurs, le maire de Clichy-la-Garenne avait à demi-mots reconnu cet état de fait dans les médias. Lors de sa fameuse interview à LCI, Roselyne Bachelot lui avait demandé : «Est-ce que vous n'êtes pas démuni, sur le plan légal ? Parce que je me souviens que Claude Guéant, je crois que c'était en septembre 2011, avait tenté de rendre illégales ces prières de rues et y avait renoncé […]. Est-ce que vous appelez à un changement législatif ?». L'édile clichois avait alors reconnu : «Oui bien sûr, c'est pour ça que j'interpelle… Je me suis adressé au préfet qui semble aujourd'hui complètement démuni donc j'interpelle le ministre de l'Intérieur.»
Le ministre de l'Intérieur lui a indirectement répondu, mercredi 15 novembre, en réponse à une question au gouvernement du député apparenté FN Gilbert Collard : «J'ai […] demandé au préfet de prendre contact avec à la fois les élus de Clichy-la-Garenne et en même temps avec la communauté musulmane afin que le problème soit résolu», a déclaré Gérard Collomb. Dont acte : la médiation semble avoir donné raison au maire de Clichy puisque le préfet a affirmé qu'il «s'opposerait désormais à toute nouvelle prière de rue à Clichy [...] avec les moyens qui sont les siens», rapporte le Parisien. Les prières de rue des fidèles clichois, qui étaient tout à fait légales jusqu'au 16 novembre, contrairement aux affirmations du maire et de Manuel Valls, sont donc désormais interdites. Dans le reste de la France, elles restent légales jusqu'à arrêté préfectoral établissant le contraire.
2) Y a-t-il eu des prêches appelant au meurtre des chrétiens?
INTOX. Deux jours après sa manifestation en compagnie d'élus franciliens, le maire de Clichy, Rémi Muzeau, a donc dégainé sur LCI un argument menaçant : «Il y a eu des prêches en arabe, des prêches avec des appels au meurtre. […] Cela a été mis sur les réseaux [sociaux].»
DÉSINTOX. Au fil des mois, les prières de rue de Clichy sont devenues l'un des épouvantails préférés de la fachosphère, relayant chaque vendredi, jour de prière, des articles «d'alerte». Le 22 septembre, les choses ont commencé à devenir plus concrètes : il s'agit à présent de dénoncer des «appels au meurtre» durant les prêches de l'imam, vidéo à l'appui.
Cette idée a été véhiculée par le youtubeur Aldo Sterone, et par des titres aussi évocateurs que «Un imam appelle à tuer les chrétiens !» Comme nous l'expliquions dans un article sur CheckNews.fr, l'accusation porte sur un verset récité par l'imam (le 36ème de la sourate 9 du Coran).
Si les lectures divergent, plusieurs interlocuteurs nous ont expliqué que le verset fait référence aux polythéistes et pas aux chrétiens, deux groupes religieux distingués explicitement à plusieurs reprises dans le Coran.
Le verset n’a pas de portée universelle et intemporelle, valable en tout temps, en tout lieu, pour tout le monde, qu’importe les circonstances de la «révélation» d’Allah à Mohammed (contrairement à d’autres, comme l’interdiction de manger du porc). Il se réfère à un épisode au cours duquel le Prophète appelle ses combattants à répliquer par la «loi du talion» lors de la conquête musulmane de la péninsule arabique, au cours duquel des tribus rivales auraient trahi des pactes de non-agression avec le Prophète et ses alliés. Ce dernier aurait donc passé à ses combattants ce commandement «œil pour œil, dent pour dent» : faire payer le prix du sang aux tribus qui l’ont attaqué par surprise.
Si ce verset peut-être utilisé comme un appel au jihad par Daech, comme nous l'a expliqué un spécialiste, cela ne signifie évidemment pas que cette lecture radicale a été celle de l'imam de Clichy, auteur des prêches du vendredi depuis mars et qui continue à les faire jusqu'à ce jour, selon l'UAMC. Qui nie toute lecture belliqueuse : «c'est un verset d'une sourate qui est récitée partout dans le monde».
Le parquet de Nanterre, saisi par courrier par le maire de Clichy, nous a confirmé qu'une enquête allait être ouverte sur le sujet. Selon une autre source judiciaire, «cela ne préjuge pas de la gravité des faits. Il est rarissime qu'on classe directement sans ouvrir une enquête quand des signalement portant sur des accusations similaires sont faits».
3) Un tract appelant à la mort des juifs a bien été distribué… par un militant anti-islam, pas par les fidèles
INTOX. Sur LCI, Rémi Muzeau a poursuivi : «Il y a eu aussi des documents qui ont été mis dans la rue qu'on a récupérés avec des phrases terribles qui disaient "si vous rencontrez un juif, tuez-le" !» L'information a été abondamment relayée par la presse, suscitant l'indignation des réseaux sociaux. Alain Jacubowicz, ancien président de la LICRA, a ainsi appelé le maire à rendre public les documents afin que leur auteur soit puni, évoquant une «affaire grave».
DÉSINTOX. Sauf que selon plusieurs témoins, ces «tracts antisémites» compilant les versets violents du Coran ont été diffusés notamment le 13 octobre sur le lieu des prières par un militant «anti-Islam». Il ne s'agit donc pas du tout de tracts diffusés par les fidèles comme la formulation du maire de Clichy pouvait le laisser penser à la première écoute. Nous avons expliqué tout ceci dans cet article.
Joint par Désintox à l'adresse mail laissée sur les tracts, l'auteur présumé de ces derniers nous a confirmé cette version des faits et déclaré : «les deux tracts en cause (l'un sur le Coran, l'autre sur Mahomet) ont été distribués à la prière de rue du vendredi de Clichy, le premier il y a trois mois, le second il y a un mois. D'autres suivront (le sujet est quasi-inépuisable !) Leur point commun : dénoncer, en le dévoilant, le caractère multi-criminel du Coran et de la vie de Mahomet. C'est là une activité militante anti-fasciste (au sens contemporain du mot), car l'idéologie de Mahomet et de ses fidèles est fasciste (liberticide, totalitaire et ultra-violente, trois des caractéristiques majeures du fascisme, qu'il soit noir, brun, rouge…ou vert !) Ce "dévoilement" de la réalité mahométane, je suis, comme citoyen, conduit à le faire puisque les élites (politiques, intellectuelles, médiatiques,…), pourtant censées éclairer leurs concitoyens, s'y refusent» Selon l'auteur du tract, la police a assisté à la scène le 13 octobre et l'a laissé faire, ce qui laisserait à penser que les forces de l'ordre étaient au courant de la nature du tract, ainsi que de l'identité de son émetteur.
4) Non, il n’y a pas de prière quotidienne à Clichy
INTOX. Accueillant le député ex-PS Manuel Valls sur CNews lundi 13 novembre, le journaliste Jean-Pierre Elkabbach a livré son point de vue sur la situation clichoise : «Il se passe à Clichy un certain nombre de choses assez choquantes : des musulmans qui prient chaque jour dans les rues et les élus qui ne supportent plus…»
DÉSINTOX. Alors qu'il interroge Manuel Valls, un tenant d'une laïcité particulièrement combative, Jean-Pierre Elkabbach se montre très imprécis. Il affirme que les prières de rue ont lieu «chaque jour» à Clichy, ce qui force largement le trait et laisse imaginer un blocage quotidien de la chaussée. Concernant l'UAMC, elle n'organise pourtant ces manifestations que le vendredi, jour de la prière la plus importante et la plus suivie.
Le choix du vendredi, et pas de n'importe quel jour de la semaine, n'est en outre pas dénué de signification : c'est le jour traditionnellement choisi par les musulmans pour associer à la prière une revendication politique, comme ce fut le cas lors des différents soulèvements populaires du Printemps arabe.
5) Les musulmans refusent le terrain pour prier que leur offre la mairie ? Pas si simple
INTOX. Jean-Pierre Elkabbach poursuit : «Avec le maire qui a deux mosquées, déjà, à Clichy, qui propose du terrain et les musulmans n'en veulent pas…».
DÉSINTOX. A l'écoute du journaliste, on comprend que le maire a proposé un terrain pour la construction d'une nouvelle mosquée. Ce n'est pas si simple. À l'origine de cet embrouillamini figure une promesse de Rémi Muzeau, qui avait promis «la construction d'un centre culturel et cultuel musulman rue d'Estienne-d'Orves», là où se trouvait déjà la salle de prière fermée en mars 2017. Le Parisien évoque une lettre allant en ce sens signée par l'édile alors qu'il était «encore conseiller municipal d'opposition», et une vidéo circule, où il réitère cet engagement en septembre 2015.
Ce projet de mosquée rue d'Estienne-d'Orves est désormais enterré. La mairie explique ce revirement par la découverte de «l'existence du bâtiment vide de la rue des Trois-Pavillons. J'ai proposé à toutes les associations de s'y réunir, celles de la rue d'Estienne d'Orves ont refusé», rapporte Le Parisien. Ce bâtiment, ouvert en mai 2016, est la seconde des deux mosquées clichoises mentionnées par Rémi Muzeau (et Elkabbach). Mais l'UAMC refuse de s'y rendre, mettant en avant la distance à laquelle elle se situe (à 7 minutes à pieds selon le maire, à 12 minutes selon Le Parisien) et sa trop petite superficie.
Pas question de «terrain» proposé par le maire de Clichy, donc. Ce qui s’en rapproche le plus est le «chapiteau provisoire» que Rémi Muzeau a expliqué avoir proposé aux fidèles après la fermeture de la salle de prière de la rue d’Estienne-d’Orves. Ces derniers «ont tout refusé», s’est-il plaint au Parisien.
Par ailleurs, Rémi Muzeau a aussi dit ceci au Parisien : «Si l'association UACM veut acquérir un terrain pour y installer sa propre salle de prière, je signerai le permis de construire sans souci. […] S'il voulait, l'Etat pourrait signer la vente d'un terrain puisqu'il possède presque 5 ha à Clichy.» Autrement dit, si l'UACM met la main sur un terrain, acquis par leurs propres moyens ou avec l'aide de l'Etat, le maire LR autorisera la construction d'une nouvelle mosquée, mais il n'est pas prêt à fournir ce terrain comme le laisse entendre Elkabbach.