Le Tenebrio molitor ou ténébrion meunier, scarabée commun en Europe, est monté en grade, ce jeudi. Trois ministres, pas moins, ont fait le déplacement dans la campagne d’Amiens, à Poulainville, pour inaugurer le chantier de la future ferme verticale d’Ÿnsect, une start-up spécialisée dans la culture des insectes destinés à l’alimentation animale. Une usine, devrait-on plutôt dire. Dès 2022, elle produira 30 000 tonnes de farine de larve de molitor, riche en protéines, et 60 000 tonnes d’engrais, issus des déjections de tout ce petit monde animal. Car sous le même toit, c’est toute une filière agro-alimentaire qui est réunie : ponte, élevage des larves et transformation.
Sous la tente de cérémonie, des âmes prévoyantes ont ramené des bacs de molitor, à différents stades de leur vie, à titre d’exemples concrets : larves, à l’apparence de vers entortillés, et scarabées adultes, carapaces noires et pattes qui bougent lentement en l’air quand ils se retrouvent sur le dos. Pas très ragoutant, mais même pas peur : Barbara Pompili plonge la main, ramène une poignée de larves. «Là, au moins, on se rend bien compte», sourit la ministre de la Transition écologique. Julien Denormandie, son collègue à l’Agriculture, la suit dans cette initiative, les photographes se régalent de la scène. Ça va, ça ne grouille pas trop dans la paume. La préfète glisse, amusée : «A Koh Lanta, ils mangent pire que cela.» Il n’est d’ailleurs pas exclu que les insectes s’invitent bientôt dans nos assiettes aussi.
Cédric O passe son tour, bras croisés. Après tout, il est secrétaire d’Etat à la Transition numérique, le vivant, c’est moins son truc. Il est ici car la ferme verticale sera aussi numérique avec un milliard de données collectées par jour, pour gérer au mieux chauffage, nutriments (le molitor aime le blé, et sa larve est d’ailleurs communément appelée ver de farine), et chaînes de production. Tout le beau linge politique local est réuni, il y a aussi Xavier Bertrand, (ex-LR) le président du conseil régional des Hauts-de-France, en campagne pour sa réélection, et aussi candidat déclaré à la présidentielle. A son grand agacement, il est gentiment oublié lors de la pose de la première pierre, où les ministres macronistes font étalage de leur habileté à la truelle.
«Souveraineté protéique»
Dehors, l’ossature de l’usine à insectes prend déjà forme, avec ses quatre tours carrées et massives : elle sera la plus grande d’Europe, avec ses 36 mètres de haut, et sa construction aura coûté plus de 150 millions d’euros. La farine des larves molitor entrera dans la confection des croquettes pour chiens et chats, et viendra surtout nourrir des poissons d’élevage, saumons en tête. Après tout, note le PDG d’Ÿnsect, Antoine Hubert, les poissons gobent bien des mouches. Le molitor aura pour eux comme un goût de retour aux sources. Avec l’espoir, à terme, de limiter l’usage de la farine de poissons, issue de la surpêche, et aussi des tourteaux de soja. Ce qui enthousiasme Julien Denormandie : «La France est dépendante des protéines végétales venant d’Amérique du Sud qui servent à alimenter nos animaux. On importe de la déforestation et de la biodiversité dégradée. Cette ferme est le symbole du combat pour notre souveraineté protéique.»
Pompili embraye sur les avantages environnementaux de cette production locale, et refuse toute polémique sur l’artificialisation des sols. Ÿnsect s’installe en effet sur 18 hectares de champs. «Nous voyons ici une tête de pont de l’économie circulaire, avec la production d’engrais qui ont de meilleurs rendements, jusqu’à 25% de plus pour le colza et la vigne, que les engrais chimiques, vante-t-elle. C’est ici une écologie de progrès qui offrent au territoire de nouvelles opportunités économiques.» Pour l’instant, limitées au niveau de l’emploi : l’usine tournera à son ouverture avec 110 personnes. Cédric O y voit cependant battre «le cœur de la start-up nation, avec cette volonté que nous avons de faire émerger des nouvelles forces économiques partout en France.» Trop fort, vraiment, le molitor.
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