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Du pain sur la planche

«Améliorer le bien-être des salariés» : un rapport de France Stratégie sonne l’alerte sur la qualité de vie au travail

Dans une note publiée ce jeudi 7 décembre, l’institution de recherche rattachée à Matignon estime que «les améliorations ne pourront pas venir du seul levier de la politique salariale».
Les auteurs de l'étude répartissent les 87 familles professionnelles en six grands groupes. (Valentin Izzo/Hans Lucas pour Libération)
publié le 7 décembre 2023 à 16h58

Un travail à tout prix. Tout tourné vers l’objectif quantitatif d’atteindre le plein-emploi, soit un taux de chômage réduit de plus de deux points pour arriver autour de 5 %, l’exécutif ne s’intéresse guère à l’amélioration de la qualité des emplois. Le sujet s’invite pourtant régulièrement dans le débat depuis trois ans. Lors de l’épidémie de Covid-19, la situation des travailleurs de seconde ligne – ces «hommes et ses femmes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal», affirmait Emmanuel Macron le 13 avril 2020 – était mise en avant.

Pendant la réforme des retraites en début d’année, le choix de reporter de deux ans l’âge de départ a de nouveau questionné la capacité d’une partie des Français à supporter le temps passé au travail. Des proportions non négligeables de salariés ne se voient pas, en effet, exercer leur métier jusqu’à la retraite, et les seniors «ni en emploi ni en retraite» sont particulièrement nombreux dans certaines professions, comme certaines du bâtiment, des services à la personne ou de la manutention. La qualité des emplois est aussi évoquée, depuis plusieurs mois, pour justifier des difficultés de recrutement persistantes – même si leur intensité faiblit – dans certains secteurs.

Il n’y a pas que le salaire qui fait un emploi de qualité

Désormais, employeurs, organisations patronales ou politiques ne pourront plus s’abriter derrière une difficulté à mesurer la qualité de l’emploi qui entraverait leur capacité d’action. Ils ont à leur disposition une grille d’analyse de tous les métiers prenant en compte plusieurs critères définissant cette qualité d’emploi. Des leviers identifiés sur lesquels s’appuyer pour négocier, définir les politiques publiques, voire conditionner les aides publiques aux entreprises. Dans leur note d’analyse pour France stratégie publiée ce jour, Christine Erhel, professeure au Centre national des arts et métiers (Cnam), Vincent Donne et Acher Elbaz – tous deux membres de cette institution de recherche rattachée à Matignon – ont passé en revue tous les métiers. Ce travail, une première en France, élargit les précédents travaux de la directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail consacrés aux travailleurs de la seconde ligne.

Les auteurs ont utilisé les sources disponibles, principalement des enquêtes de l’Insee et de la Dares, datant de 2019 pour les plus récentes, pour observer six dimensions : les salaires, les conditions d’emploi (le type de contrat par exemple), les conditions de travail (accidents, risques physiques et psycho sociaux), le temps de travail (dont la conciliation vie professionnelle et vie familiale), trajectoires et carrières (promotions et formation) et la représentation des salariés. «La qualité de l’emploi et la satisfaction professionnelle sont autant influencées par les salaires que les autres aspects», insistent les auteurs, qui répartissent les 87 familles professionnelles en six grands groupes.

Les «deuxième ligne» dans le rouge

«Il n’y a pas une configuration idéale de qualité de l’emploi, même si certains groupes cumulent les difficultés», constate Christine Erhel. En effet, à première vue, le premier groupe, qui rassemble la plupart des cadres, apparaît comme le plus favorisé. Les métiers sont très bien rémunérés, avec un revenu salarial annuel net moyen plus de deux fois supérieur à celui de l’ensemble des salariés, des perspectives de carrière très favorables, un risque du chômage éloigné. Mais l’exposition aux risques psychosociaux est élevée dans ce groupe qui «se distingue par la plus grande part de travailleurs déclarant travailler “sous pression”», et même si les horaires ne sont pas atypiques, l’exposition est forte «aux difficultés à concilier vies familiale et professionnelle, à l’imprévisibilité des horaires de travail», et aux durées longues de travail.

D’autres groupes compilent davantage de critères défavorables. Le troisième, par exemple, surtout composé d’hommes, ouvriers qualifiés et non qualifiés : des salaires en deçà de la moyenne, des trajectoires de carrière plutôt défavorables, une exposition aux contraintes physiques et un fort recours à l’intérim. Seuls le temps de travail et les risques psychosociaux apparaissent moins problématiques. Le cinquième groupe a encore plus d’indicateurs au rouge : il est formé par des métiers à bas salaires et à fortes contraintes horaires. Parmi eux, les «deuxième ligne», comme les caissiers, les aides à domicile, ainsi que les employés et agents de maîtrise de l’hôtellerie-restauration ou les agriculteurs.

«Agir aussi sur les types de contrats»

Comme dans les autres pays où des travaux similaires ont été conduits, en France, faible qualité de l’emploi coïncide souvent avec faible niveau de salaire. «On pourrait s’attendre à ce que les salaires viennent compenser la qualité de l’emploi. Ce n’est pas le cas», relève Christine Erhel. Pour les auteurs de la note, «les améliorations ne pourront pas venir du seul levier de la politique salariale. Il faut agir aussi sur les types de contrats, la formation et les perspectives de carrière, les conditions de travail, avec des priorités qui varient selon les métiers et sont à décliner au niveau des branches», avec un double enjeu «améliorer le bien-être des salariés et assurer les capacités productives des entreprises». Il y a aussi une certaine urgence.

En regardant la qualité du travail des 15 métiers qui risquent d’avoir le plus de postes non pourvus en 2030, la marge d’amélioration est grande. Quatre de ces métiers comportent même des données défavorables sur l’ensemble des indicateurs : les agents d’entretien, les conducteurs de véhicules, les aides à domicile et les agriculteurs.