Avec le retour de la guerre en Europe, Thales n’a pas vraiment eu à se plaindre de l’année 2023 : à l’instar des autres industriels du secteur, le champion français de l’électronique pour l’aéronautique et la défense a vu ses ventes d’armement et de systèmes de cybersécurité repartir à la hausse et son carnet de commandes s’envoler. Le groupe français, qui a notamment livré des radars de défense aérienne à l’Ukraine, a ainsi enregistré l’an dernier un chiffre d’affaires de 18,4 milliards d’euros, en hausse de 4,9 % (+7,9 % à périmètre et taux de change constants). Son bénéfice net a certes baissé de 9 %, à un milliard d’euros, rogné par une charge exceptionnelle liée au régime de retraite britannique, mais sans cette charge, le bénéfice a progressé de 14 %. L’action Thales s’envolait mardi de 7 % à l’annonce de ces résultats jugés canons par la Bourse.
Reportage
Les conflits armés, qui ont gonflé les budgets militaires dans le monde, le redémarrage de l’aéronautique civile sinistrée pendant la pandémie et la multiplication des cyberattaques lui ont permis de garnir son carnet de commandes, à 45,3 milliards d’euros, en hausse de 10 %, son «plus haut historique». Thales a engrangé pour 23 milliards d’euros de nouvelles commandes sur la seule année 2023, grâce à la signature de plusieurs contrats majeurs fin 2023 : sur ses 25 plus grands contrats – de plus de 100 millions d’euros – 17 concernent le secteur de la défense. Lors d’une rencontre avec la presse, le PDG de Thales Patrice Caine a notamment cité en exemple «le contrat jumbo de 2 milliards d’euros signé avec le ministère de la Défense britannique pour l’entretien des systèmes de la flotte de sa majesté pendant quinze ans». Filant la métaphore chère au secteur, il s’est félicité de ce boom des activités de défense «qui tirent tout droit dans un contexte géopolitiquement porteur». Manière de dire plus décemment que le retour de la guerre à haute intensité est forcément une bonne affaire pour les marchands de canons.
Les bonnes affaires de l’«économie de guerre»
Thales, qui est contrôlé par l’Etat français (à 26 %) et la famille Dassault (à 25 %) – un tandem unique dans l’industrie française – avait bénéficié en 2022 d’une énorme commande de 80 Rafale par l’Arabie saoudite, qui envisage d’en acheter 54 autres. Le groupe est associé à Dassault Aviation et Safran dans le groupement d’intérêt économique Rafale et fournit toute l’électronique de bord, les radars et différents capteurs optroniques de l’avion de combat multirôles. Thales est également en train de se renforcer dans la cybersécurité par le rachat de l’américain Imperva, éditeur américain de logiciels de protection des données, qu’il a acquis pour 3,6 milliards de dollars (environ 3,3 milliards d’euros) fin 2023. Il a aussi racheté le spécialiste des systèmes de communication pour les cockpits Cobham Aerospace pour 1 milliard et vendu sa branche transport à Hitachi Rail pour 1,5 milliard.
Patrice Caine a livré sa «vue d’hélicoptère» après une «année record sur à peu près tous les indicateurs économiques» qui a vu Thales afficher selon lui la meilleure marge sur résultat d’exploitation (13 %) du secteur de la Défense, «y compris comparé aux géants américains». En résumé, les affaires devraient continuer à bien rouler puisque après 11000 recrutements l’an dernier, le groupe en prévoit 8500 cette année : «pour nous, l’économie de guerre va se traduire par une augmentation de nos activités en fonction des besoins, tant en matière grise qu’en capacités de production. Thales s’est organisé pour répondre tant aux besoins du ministère de la Défenses qu’à ceux exprimés par nos clients en Europe et dans le reste du monde», a expliqué le patron de Thales en réponse à une question de Libération.
Restructuration dans la branche spatiale
Et pour cause, depuis le début de la guerre en Ukraine, l’action Thales a vu sa valeur doubler, pour le plus grand bonheur de ses actionnaires qui ont encore profité d’une généreuse distribution de dividendes au titre de 2023. La Bourse a d’autant plus apprécié ces résultats annuels que Thales a annoncé une restructuration d’une partie de son activité spatiale qui se traduira par 1300 suppressions de postes chez Thales Alenia Space, dont 1000 en France, mais sans aucuns «départs contraints» : les cadres et techniciens concernés, à Toulouse notamment, seront redéployés au sein du groupe, notamment dans au centre d’ingénierie de Cannes «car le groupe tient à garder ses talents et ses compétences», a précisé le PDG de Thales, Patrice Caine. «Il n’y aura aucuns licenciements, ce n’est pas dans notre intérêt si les affaires reprennent, et en trente ans au sein de ce groupe je n’ai jamais vu de sang sur les murs», confirmait en coulisses une cadre du groupe. A l’origine de ce «plan d’adaptation», les difficultés conjoncturelles de la branche satellites commerciaux avec la nette pause opérée dans les lancements d’engins géostationnaires pour les télécommunications : «c’est simple, on est passé de 20 lancements par an il y a quelques années à dix», a expliqué le patron. Mais Thales profite toujours du «business solide» des grandes agences spatiales comme l’ESA ou le CNES qui continuent à allouer «d’importants budgets» aux industriels du secteur.
Thales, qui prévoit cette année un chiffre d’affaires proche de 20 milliards d’euros, emploie 35 000 ingénieurs, sur un effectif mondial de 80 000 collaborateurs.
Mise à jour : à 17h00, avec les déclarations du PDG de Thales Patrick Caine lors d’une rencontre avec la presse.