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ArianeGroup supprime 600 emplois pour relancer Ariane 6 face à SpaceX

Arianedossier
Le groupe européen va couper dans ses effectifs en Allemagne et en France pour tenter de concurrencer la firme d’Elon Musk, dont les lanceurs réutilisables sont bien plus compétitifs. Mais la future fusée Ariane ne décollera pas avant 2022 et semble déjà dépassée.
Dans un atelier d'ArianeGroup à Vernon en janvier 2021. (CHRISTOPHE ENA/AFP)
publié le 23 septembre 2021 à 22h51
(mis à jour le 23 septembre 2021 à 23h16)

Alors que la star du «new space» SpaceX carbure aux milliards de dollars de contrats de la Nasa et que son fondateur Elon Musk rêve d’envoyer une «big fucking rocket» vers Mars, la grande dame de l’Europe spatiale accuse de sérieux retards avec son nouveau lanceur lourd Ariane 6 et doit tailler dans ses effectifs : ArianeGroup va supprimer «un maximum de 600 emplois» parmi les quelque 8 000 postes que compte la co-entreprise de l’avionneur Airbus et du motoriste Safran, a annoncé la direction aux syndicats lors d’un comité de groupe européen qui s’est tenu ce jeudi.

«Il s’agira d’un plan de départs volontaires accompagnés, en aucun cas de licenciements secs, et il concernera autant la France que l’Allemagne», a précisé une porte-parole d’Arianegroup à Libération. «Tous les postes de travail sont concernés, sauf les personnels en atelier», a indiqué de son côté une source syndicale à l’AFP. «Sachant qu’en France, on a 350 départs naturels chaque année, si on y ajoute le flux d’embauches que l’entreprise va maintenir, il faudra faire partir 150 à 200 personnes», estime de son côté Philippe Gery, délégué syndical central CFE-CGC.

Chasse aux coûts

Ces 600 départs qui s’étaleront tout au long de l’année 2022 ne sont pas tout à fait une surprise : ArianeGroup avait annoncé dès 2018 son intention de supprimer 2 300 postes d’ici à 2022 à 2025 pour faire face à la baisse du marché des lancements de gros satellites, la spécialité de sa fusée Ariane 5, et surtout regagner en compétitivité face à SpaceX. La firme d’Elon Musk, qui a révolutionné le marché du spatial en divisant par deux ou trois le coup des lancements avec ses fusées réutilisables Falcon, a sérieusement mis en difficulté ArianeGroup ces dernières années.

Incapable pour l’heure de proposer un lanceur à même de se reposer sur Terre comme les engins de SpaceX, le maître d’œuvre de la filière spatiale européenne a tout misé sur Ariane 6 : une super fusée de 70 mètres de haut (contre 50 mètres pour Ariane 5) capable avec ses deux versions à deux et quatre boosters et sa grande coiffe d’embarquer 5 à 11 tonnes de charge utile.

Mais avec un coût de lancement estimé à l’origine à 80 millions d’euros pour un satellite, là où SpaceX a cassé les prix à moins de 50 millions de dollars, la vie commerciale d’Ariane 6 semble mal engagée. Les perspectives de tirs ont été ramenées de dix à sept par an, 30% de moins que lors du lancement du projet en 2014. ArianeGroup a donc été contraint de se lancer dans une chasse aux coûts sans précédents pour rendre son futur lanceur lourd plus compétitif, en attendant l’arrivée d’une fusée réutilisable. Pour ne rien arranger, le tir inaugural d’Ariane 6, initialement prévu en 2020, a été reporté au deuxième trimestre 2022 en raison de difficultés techniques aggravées par les conséquences de la crise sanitaire.

Transfert du moteur Vinci en Allemagne

Pis, la production du fameux moteur réallumable de l’étage supérieur Vinci qui équipera Ariane 6 va être transférée de l’usine française de Vernon (Eure) vers le site allemand d’Ottobrunn (Bavière). «Cette décision n’a rien à voir avec le plan de départs volontaires, c’est la conséquence de l’accord franco-allemand conclu en juillet», précise la porte-parole d’ArianeGroup. En échange de sa contribution aux côtés de la France à une nouvelle ligne de financement de 140 millions d’euros pour assurer la viabilité économique d’Ariane 6, l’Allemagne réclamait en effet ce transfert du moteur Vinci sur ses terres. Vernon perdra «40 000 heures de travail annuel» soit environ 40 emplois sur 950, prévoit Philippe Géry de la CFE-CGC. Et de craindre qu’après Vinci, les Allemands réclament la production du futur moteur Prometheus qui doit équiper le futur lanceur réutilisable d’Ariane. Pour lui, ce serait «la fin de l’usine de Vernon à plus long terme».