Rares sont les entreprises à disposer de données aussi intimes sur leurs utilisateurs que 23andMe. Facebook connaît peut-être leur passion pour les chats, TikTok leur fixette sur Timothée Chalamet et Instagram leur addiction à la burrata. Mais la société américaine de biotechnologies, elle, joue dans une autre catégorie, puisqu’elle détient leur ADN. Petit souci : dimanche 23 mars, la firme américaine a annoncé avoir déposé le bilan.
L’entreprise de tests génétiques cherche désormais un repreneur. Non sans inquiéter les 15 millions de personnes ayant eu recours à ses services depuis sa création en 2006. Pour moins de 200 dollars, elle proposait jusqu’ici d’effectuer un test salivaire (à envoyer ensuite par courrier) permettant à quiconque de déterminer ses origines ancestrales ainsi que certaines de ses informations de santé. Autrement dit, quelques gouttes de bavouille et chacun pouvait se découvrir des racines vietnamiennes, amérindiennes ou bulgares. Ou un risque accru d’Alzheimer à l’avenir. Autant d’informations dont le devenir interroge alors que la boîte chancelle.
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La formule de 23andMe a par le passé connu un petit succès médiatique. Au meilleur de sa forme, la valorisation de l’entreprise frôlait même les 6 milliards de dollars. Mais, ces dernières années, les affaires ont patiné. La faute à un piratage massif en 2023, qui a affecté les données de millions de clients et endommagé durablement leur confiance. En utilisant les anciens mots de passe des utilisateurs, les pirates avaient compromis des informations telles que le nom, le sexe, l’année de naissance, la localisation, les photos, les informations sur la santé et les résultats de l’ascendance génétique. Au total, 6,9 millions de comptes avaient été affectés, dont 5,5 millions contenaient des informations sur les correspondances génétiques.
Après ce cyber-incident, l’entreprise a vu son activité chuter. En plus de n’être, selon la BBC, jamais parvenue à réaliser de bénéfices, elle s’est aussi retrouvée face à une charge de 30 millions de dollars, liée au règlement d’un recours collectif. En novembre 2024, elle finissait par licencier 40 % de son personnel, soit 200 personnes. Cinq mois plus tard, en mars, elle bradait ses actions à 0,41 dollar par titre. Autrement dit, une réduction de 84 % par rapport à l’offre du mois précédent.
Suppression des données
Dans un communiqué publié dimanche, 23andMe assure «avoir engagé une procédure volontaire de redressement judiciaire» auprès d’un tribunal des faillites de l’Etat du Missouri. L’entreprise annonce aussi la démission de sa PDG Anne Wojcicki - qui restera toutefois au conseil d’administration - et précise avoir refusé une offre de rachat de cette dernière. «Bien que je sois déçue que nous en soyons arrivés à cette conclusion et que mon offre ait été rejetée, je soutiens l’entreprise et j’ai l’intention de me porter candidate (à sa reprise)», a commenté Anne Wojcicki sur son compte X.
Enfin, l’entreprise tente de rassurer : tout au long du processus de vente, ses activités se poursuivront normalement et aucun changement n’aura lieu en termes de stockage ou de protection des données, promet-elle.
Pas suffisant pour convaincre tout le monde. Lundi, le cours de l’action de 23andMe a chuté de près de 50 % à Wall Street. Surtout, plusieurs voix s’élèvent pour conseiller à ses clients de supprimer leurs données personnelles. Chose possible en Californie, l’Etat dans lequel se situe le siège de la boîte. Le procureur général du territoire, Rob Bonta, a émis vendredi une alerte aux consommateurs de 23andMe, leur rappelant «leur droit d’exiger la suppression de leurs données génétiques en vertu de la loi sur la protection des données génétiques et de la loi californienne sur la protection des consommateurs».
«Utiliser à de nouvelles fins»
Geoffrey Fowler, chroniqueur technologique au Washington Post, a de son côté lancé un avertissement : «Si vous faites partie des 15 millions de personnes qui ont partagé leur ADN avec 23andMe, il est temps de supprimer vos données». Le principal risque selon lui : que ces dernières soient «vendues ou transférées à une nouvelle entreprise, qui pourrait vouloir les utiliser à de nouvelles fins». Ciblage publicitaire, revente à des tiers peu scrupuleux, utilisation par des pirates informatiques… Les hypothèses sont inquiétantes.
Pour éviter ce risque, les clients de 23andMe doivent se rendre sur leur compte puis cliquer sur «Paramètres». En bas de la page, ils trouveront un onglet «23andMe», un bouton «Afficher» puis un autre «Supprimer les données». Il est également possible d’accéder à la section «Consentements relatifs à la recherche et aux produits» des paramètres pour révoquer toute autorisation d’utiliser votre matériel génétique dans le cadre de projets de recherche à l’avenir.