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Benoît Hamon, président d’ESS France, sur le budget 2026 : «On fait des économies sur le dos des plus pauvres»

L’ex-candidat à la présidentielle de 2017 proteste contre le projet de loi de finances 2026, examiné à partir de lundi 20 octobre au Parlement, qui coupe une partie des budgets alloués à l’économie sociale et solidaire. Il met en garde : les plus précaires paieront le prix fort.

Benoît Hamon, président de ESS France et fondateur du mouvement Génération.s., le 30 août 2025 à Châteaudun au rassemblement de la «gauche de l’union». (Denis Allard/Libération)
Publié le 19/10/2025 à 17h12

Sport amateur, éducation populaire, insertion par le travail, aide aux personnes… Autant d’engagements menacés par le projet de budget pour 2026 dont l’examen en commission débute lundi 20 octobre. L’ancien ministre et député socialiste Benoît Hamon, aujourd’hui président d’ESS France, alerte sur les baisses de crédits en faveur de l’économie sociale et solidaire (ESS) et dénonce «un immense plan social à l’échelle de la nation».

Comment avez-vous accueilli le projet de budget pour 2026 ?

On n’a jamais vu ça. Ce budget est une offense aux presque 10 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté. Les acteurs de l’ESS vont sur des terrains que le service public n’occupe plus ou que les entreprises délaissent, faute de rentabilité. L’ESS y assure l’accès aux droits fondamentaux des Français en matière de santé, de mobilité, d’éducation, d’hébergement, d’alimentation… C’est sur ces terrains qu’on croise la population la plus pauvre. En faisant des économies sur l’ESS, on fait des économies sur le dos des plus pauvres.

De telles coupes, c’est inédit ?

C’est spectaculaire. C’est 90 millions d’euros d’économies sur les services civiques, devenus indispensables pour plein d’associations. C’est 20 millions d’euros en moins pour la politique de la ville qui rénove les espaces urbains ou recréé du lien social. Et 44 millions d’euros en moins pour l’éducation populaire qui propose des centres aérés ou des colonies de vacances dans les quartiers ou les milieux ruraux. Rien que pour les acteurs de l’ESS dans les territoires, c’est moins 54 %.

Quelles sont les conséquences sur le terrain ?

Aujourd’hui, les plans sociaux dans les grandes associations confirment que non seulement on a arrêté de créer de l’emploi mais on a commencé à en détruire. Le mouvement associatif estime qu’il y aurait 90 000 emplois supprimés dans les mois à venir. C’est l’équivalent d’un immense plan social à l’échelle de la nation mais qui a le défaut de ne pas se traduire par une usine qui ferme et donc de passer sous les radars.

Quel est l’impact sur l’insertion par l’activité économique (IAE), dispositif financé par l’Etat qui permet à des entreprises d’accompagner des personnes éloignées de l’emploi ?

Chaque année, 300 000 personnes sont accompagnées, bien souvent parmi les plus pauvres, les plus désocialisés, les plus abîmés par la vie, et sont remises sur le marché du travail. Dans le prochain budget, cela revient à 60 000 emplois supprimés, d’après nos estimations. C’est en contradiction absolue avec la valeur travail en théorie portée par les deux quinquennats d’Emmanuel Macron.

Le projet de loi de finances prévoit de doubler le plafond de dons aux plus démunis ouvrant droit à une réduction d’impôt, ça ne compense pas ?

Je me réjouis que les Français puissent donner plus. Mais il y a une hypocrisie à désengager l’Etat de sa mission d’intérêt général pour la renvoyer aux bénévoles ou à la générosité privée. Et les Français n’ont pas des milliers d’euros à mettre dans les associations, on ne récupérera jamais le dixième de ce que l’Etat nous retire.

Est-ce qu’une révision vous semble possible lors de l’examen parlementaire ?

Elle est indispensable. On a commencé à mobiliser les parlementaires dans tous les groupes. Il n’y aura pas de 49.3 donc on va avoir un budget avec des majorités qui vont se faire et se défaire, ligne budgétaire par ligne budgétaire. Nous, on va se battre sur chacune des lignes qui nous concernent pour revoir radicalement les budgets qui concernent le financement de la solidarité, de l’inclusion, du sport amateur, de la culture…

Qu’avez-vous pensé de la position des socialistes dernièrement ?

Ils ont fait leur choix. Ils ont estimé que la priorité devait aller à la suspension de la réforme des retraites. Soit, dont acte. Après, c’est une prise de risque quand on voit le projet de budget qui est sur la table et le mal que ce budget va faire à des millions de Français.

Quelles alternatives proposez-vous pour préserver l’ESS malgré les contraintes budgétaires ?

Par exemple, il y a 211 milliards d’euros d’aides aux entreprises selon un rapport du Sénat et 16 milliards de soutien à l’ESS, selon la Cour des comptes. Nous touchons 7 % des aides publiques aux entreprises alors qu’on pèse 14 % de l’emploi privé. On pourrait largement réorienter une partie de ces aides vers l’ESS.

On peut aussi repenser le modèle des cotisations patronales qui reposent sur le nombre de salariés. Or, avec l’automatisation et l’intelligence artificielle, des entreprises peuvent réduire leur nombre de salariés pour les remplacer par des machines, puis réduire le montant des cotisations, le tout avec le même chiffre d’affaires. Les cotisations ne devraient pas dépendre du nombre de salariés mais du chiffre d’affaires réalisé.

La taxe Zucman vous parait-elle opportune ?

Il faut changer la fiscalité du patrimoine, que ce soit sur le modèle de la taxe Zucman ou sur un prélèvement progressif sur les revenus du patrimoine. On ne peut plus laisser la distance entre les plus pauvres et les plus riches grandir sans redouter que ça casse très violemment un jour.

Et je ne peux pas réprimer une forme de nausée devant la débauche de moyens mobilisés par le Medef pour lutter contre une contribution qui concernait l’ultra-minorité des ultra-riches tandis qu’il n’y a pas eu le centième de cette mobilisation quand la France a battu cette année, tous les records en matière de pauvreté. Cela dit à quel point aujourd’hui ceux qui détiennent le pouvoir économique détiennent le pouvoir politique.