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Interview

Bourse : «Personne n’aurait parié sur le fait que Paris passerait devant Londres»

La capitalisation totale des sociétés cotées à Paris a dépassé pour la première fois celle de la City de Londres mardi. Brexit, instabilité politique, plan budgétaire défaillant… Les raisons du déclin britannique sont multiples, selon l’analyste financier Alexandre Baradez.
Dans les locaux de la société londonienne IG, en janvier 2019. (Paul Ellis/AFP)
publié le 15 novembre 2022 à 20h55

Paris peut s’enorgueillir d’être la première bourse d’Europe. La capitalisation totale des sociétés cotées dans la capitale française a pour la première fois dépassé celle des sociétés cotées à Londres lundi 14 novembre. Et ce, malgré un FTSE 100 londonien, le principal indice britannique, plus résistant que le CAC 40 parisien sur 2022.

La Bourse de Paris affiche une capitalisation de 2 823 milliards de dollars, contre 2 821 milliards pour sa grande rivale selon les indices publiés par l’agence économique Bloomberg. Mais si les deux plus grandes places financières d’Europe apparaissent au coude-à-coude, cela s’apparente plus à un déclin de Londres qu’à une montée en puissance de Paris. En juin 2014, la City pesait plus de 4 000 milliards de dollars, contre 2 234 pour Paris. Le responsable analyse de marché de IG un opérateur financier Alexandre Baradez explique cette situation inédite pour Libération.

Comment expliquer que le climat des affaires se soit détérioré sur le long terme du côté de la City ?

Il faut distinguer plusieurs choses. Evidemment, le Brexit a eu un effet indéniable sur le déclin de Londres. Les entrepreneurs, qui souhaitent introduire leur société en bourse, cherchent à aller là où il y a le plus de visibilité afin d’attirer les investisseurs et gagner en volume sur les titres en question. En sortant de la zone euro, le Royaume-Uni a donné le sentiment de se replier sur lui-même. Pour beaucoup d’entrepreneurs, l’Europe de l’ouest, avec des Bourses comme Paris ou Francfort, apparaît désormais comme la place la plus visible.

Certains gros établissements d’investissement, notamment les banques américaines, avaient une grosse partie de leur staff qui opérait depuis l’Angleterre, y compris sur des deals européens. Les réglementations post-Brexit ont contraint ceux-ci à migrer vers l’Europe. De facto, avec une proximité géographie renforcée, les clients de ces établissements se sont vus proposer de plus en plus d’idées de placement au sein d’entreprises européennes.

Il y a également des raisons politiques qui expliquent la chute de la place londonienne. Un contexte politique bancal envoie des signaux négatifs aux investisseurs. Sur ce point-là, Boris Johnson a sapé la crédibilité du Royaume-Uni à l’échelle internationale avec un gouvernement erratique, mêlé dans plusieurs scandales. Dans ce cas-là, beaucoup de créanciers internationaux choisissent une autre zone géographique plus stable ou se défaussent des actions qu’ils détiennent déjà.

Le plan que voulait mettre en place Liz Truss - axé sur des baisses d’impôts massives pour les entreprises et les ménages les plus pauvres - a été l’épisode final qui a fini de plomber la confiance des investisseurs. Avec un ratio dette /PIB déjà élevé les marchés financiers se sont affolés, provoquant l’intervention de la Banque centrale anglaise.

Rishi Sunak le nouveau premier ministre, est un ancien banquier, il connaît très bien les mécanismes financiers. il est fort probable que le Royaume-Uni opte pour un virage qui pourrait faire revenir entreprises comme investisseurs.

La première place acquise par Paris ne pourrait qu’être éphémère ?

Rien n’est définitif. Il y a deux ou trois ans, personne n’aurait parié sur le fait que Paris puisse passer devant Londres. Le Royaume-Uni va désormais tout faire pour que l’influence de la place londonienne remonte.

Prenons l’exemple du FTSE 100, l’équivalent du CAC 40, qui a mieux résisté sur l’ensemble de l’année. Si le FTSE a mieux tenu, c’est grâce au niveau de la livre sterling, qui a chuté à son plus bas par rapport au dollar depuis plus de 30 ans. Cela rend les actifs moins cher pour les investisseurs étrangers, en particuliers ceux qui utilisent le billet vert.

Des actifs attractifs couplés à une politique stable pourraient faire remonter la bourse. Le Royaume-Uni reste une puissance très attirante avec un savoir-faire financier, des capacités techniques, et des équipes formées.

Vous parliez d’un fort attrait pour l’Europe mais pourquoi Paris fait mieux que Francfort ?

ll y avait quelques signaux liés au profil du président français. Emmanuel Macron s’est lui-même présenté comme pro-busines, pro-innovation. Il avait déclaré qu’il comptait rendre à la France son attractivité. La perception de la dynamique du gouvernement compte pour les investisseurs. La France a également pris un rôle bien plus central depuis le départ d’Angela Merkel d’un point de vue de l’image globale.

De plus, le DAX allemand a souffert cette année car il est en première ligne face à la crise de l’énergie. En effet, il est constitué de valeurs industrielles. Beaucoup de groupes côté dans le DAX ont chuté. Dans le CAC 40, l’industrie ne pèse pas autant. Surtout, le luxe, la locomotive du CAC 40 représentant plus de 30 % de la capitalisation, s’est très bien porté. C’est un secteur très dépendant de la Chine. Les signaux positifs envoyés par Pékin sur un possible assouplissement des restrictions sanitaires sont donc très suivis par les investisseurs et jouent en faveur de Paris.